L'islamologue et philosophe algérien Mustapha Chérif a été reçu le 11 novembre 2006 par le Pape Benoît XVI au Saint-Siège de la Cité du Vatican à Rome. «J'étais le premier musulman à rencontrer le Pape pour parler de l'Islam. J'avais tenu à le rencontrer dans le cadre du dialogue interreligieux. Il m'a prêté son attention près d'une heure», a expliqué Mustapha Chérif dans Rencontre avec le Pape, l'islam et le dialogue inter religieux, récit publié fin mars 2011 aux éditions Barzakh à Alger. L'auteur revient à travers 377 pages sur une audience privée dans le bureau de Benoît XVI en tête-à-tête. «Benoît XVI apparaît, souriant, le regard vif. Chaleureusement, il me prend la main dans les siennes (…) Sans souci de protocole, il me conduit vers un fauteuil, tout à côté de lui. Geste de proximité et de considération qui m'impressionne», écrit-il. L'auteur a envoyé une lettre au Pape après le fameux discours de Benoît XVI de Ratisbonne (Allemagne) le 12 septembre 2006. «Parce qu'il a été perçu comme une déclaration de guerre, de remise en cause de l'esprit du Concile de Vatican II, du travail accompli par le Pape Jean Paul II et une tentative supplémentaire de diabolisation de l'Islam, ce discours nécessite une analyse et une riposte pacifiques et réfléchies», a observé l'auteur de L'Islam. Tolérant ou intolérant ? En 1965, le Concile Vatican II a abouti à la décision de l'Eglise de considérer l'Islam comme une religion monothéiste et abrahamique comme le judaïsme. «C'est une rupture historique qu'il nous faut prolonger et renforcer les uns et les autres. Il nous faut tous œuvrer pour qu'aucun recul, aucune remise en cause ne soient enregistrés comme le discours de Ratisbonne», a-t-il averti. Selon lui, à Ratisbonne, le Pape, qui parlait plus en théologien qu'en politique, visait davantage les Occidentaux. «Cependant, cette intention n'enlève en rien à la blessure infligée à l'Islam accusé de s'opposer à la raison alors qu'il est intrinsèquement rationnel dans ses principes (…) L'Islam est une réponse rationnelle aux questions fondamentales sur l'existence», a-t-il appuyé. Selon lui, de la relation islamo-chrétienne dépend l'avenir du monde. «L'Eglise chrétienne catholique est confrontée à une crise. Elle a souvent pratiqué le contraire de ce qu'elle prône. Elle a mis en avant l'absolutisme de ses institutions (…) Dans le monde musulman, les institutions religieuses traditionnelles, pour des raisons différentes, sont également en crise», a-t-il constaté. Il a estimé que le Coran, la sunna prophétique et l'exercice de l'interprétation sont, pour la majorité des musulmans, des voies pacifiques qui «servent à faire rejaillir un sens propre et propice à notre temps». Mustapha Chérif a souligné que la civilisation islamique a contribué à l'émergence de la Renaissance européenne grâce au souci de donner la priorité à la connaissance. Et le Pape Benoît XVI a confié à son invité que chrétiens et musulmans ont besoin «d'un dialogue authentique» pour surmonter les tensions et «relever les défis communs dans un esprit d'amitié». «Nul n'a le monopole de la vérité et nulle communauté n'est a priori meilleure qu'une autre. La piété est le critère principal de différenciation», a noté Mustapha Chérif. «Fonder le vivre ensemble et une civilisation universelle, ce n'est point un rêve, cela a déjà eu lieu et peut de nouveau exister et faire sens», a-t-il conclu.