Elle a les traits de son père. Les yeux surtout. Son verbe est facile et éloquent. Ses idées claires et… toujours militantes. Elle a évacué sa haine. En a-t-elle eu, un jour ? Djanina Messali, ou Nina pour les intimes, épouse Benkalfat, a été l'une des invités privilégiés, lors de la visite du chef de l'Etat à Tlemcen, samedi 16 et dimanche 17 avril derniers, à l'occasion de l'ouverture officielle de l'évènement «Tlemcen, capitale de la culture islamique». Notre privilège était de la rencontrer dans une maison tlemcénienne. En famille. Loin des feux des projecteurs. Tournant historique pour ceux qui connaissent les affres subies par le père fondateur du nationalisme algérien et sa famille, plusieurs années après son décès. Qui aurait cru que la progéniture de celui qui était banni et proscrit par les pouvoirs successifs serait élevée au rang des personnalités les plus «adulées» par le Pouvoir. Il fut un temps où évoquer le nom de Messali était un crime de lèse-majesté. «Peut-on parler de réhabilitation, de réconciliation?» a-t-on osé, d'emblée? «Ni l'une, ni l'autre; je n'aime pas ces termes. Je dirais, plutôt, qu'il s'agit d'une réinsertion dans le processus historique», répliqua-t-elle, tout de go. Et quels étaient ses sentiments en atterrissant sur le tarmac de l'aéroport portant le nom de son père ? Comme si elle éludait élégamment la question, elle réagit après une seconde de réflexion. «Ma présence sur les lieux a été décidée en dernière minute». Magnanime, Nina refusait de s'étaler sur ce regain d'intérêt pour elle, pour les Messali. «Mon père a été exclu de la politique, évacué de l'histoire. Les partis politiques et autres ligues des droits de l'homme n'ont jamais tenté de faire un flashback dans l'histoire. Ils n'avaient pas le courage de parler de Messali Hadj. Nous avons toujours été en manque de reconnaissance. Il y a des mots qui tuent. Quand on vous traite de traître, ça tue…» dit-elle quelque peu blessée, toujours affectée. Nina, même réconciliatrice, ne peut échapper à sa mémoire, à celle de l'histoire de son pays. «C'est une fêlure (ça l'a été peut-être) et les générations successives sont le produit de cette fêlure». Et de reconnaître «Le président Bouteflika a été le seul Algérien à avoir déverrouillé les tabous, nous lui devons cela». Et fatalement, de retourner à l'Etoile nord africaine, née à Tlemcen en 1936, de citer sa première cellule : les frères Berrezoug, Maârouf, Abdelkrim Benosman… «Ma mère Emilie Busquant, conceptrice de l'emblème national (qui fit son apparition en Algérie pour la première fois à Tlemcen, apprenait aux militants l'éducation politique. Elle avait pour mission d'organiser la jeunesse», se souvient-elle particulièrement d'une phrase que lui aurait dite son père. Elle était sa secrétaire particulière, aussi. Difficile pour elle de sélectionner une phrase tant les discours et les confidences de Messali sont incalculables. Il expliquait les calomnies dont il était victime par ces termes sages : «s'ils (ses ennemis) avaient des arguments politiques, je leur répondrais» Et de revenir à 1954. «On était sortis de l'activité politique pour entrer dans les règlements de comptes à partir de 1954. Je vous épargne tous les crimes commis contre les nationalistes, les militants du MTLD….». Difficile de l'extirper du passé. Ressent-elle une quelconque haine contre les ennemis de son père, du Pouvoir, des usurpateurs de l'histoire ? «Je n'ai aucune haine contre qui que ce soit, c'est un problème moral», rétorque-t-elle simplement et avec lucidité. Djanina (jardinet fleuri) vit à Montréal au Canada. Mais, depuis peu (depuis la reconnaissance timidement officielle de Messali), elle a renoué le contact avec son pays, sa ville Tlemcen. Merci Nina pour ces moments agréables!