Il y a quelques jours, près de Mostaganem, un sourd-muet se suicidait en se jetant du quatrième étage. Les journaux, dont la fonction est de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, en l'occurrence les muets, a rapidement donné l'information mais sans aucun commentaire. Depuis quelques jours, à l'autre bout du pays, des jeunes de Annaba se mutilent le corps en se tailladant à coups de couteau pour protester contre d'injustes distributions de logement, n'ayant même pas un quatrième étage pour se jeter. L'information est diffusée mais toujours sans commentaire, alors que transférer sur son propre corps les problèmes politiques du pays devrait donner lieu à d'innombrables thèses. Ce n'est pas le cas, le réel opère, les médias le rapportent et les lecteurs le lisent sans en avoir le temps, chacun n'ayant plus rien à dire, spectateur muet devant le défilement accéléré de l'histoire. Oui, mais demain ? L'islamisme s'étant disqualifié par sa profonde bêtise et l'attentat-suicide comme forme de contestation suprême n'ayant plus aucun sens, quel est l'acte ultime qui montrera tout son désespoir et frappera le maximum de consciences ? Demain, une Algérienne se crèvera les yeux, s'immolera par le feu et se jettera nue du 20e étage d'un appartement qu'elle n'a pas. Les médias parleront de suicide, les autorités d'une promesse de Bouteflika de 10 millions de logements à construire, le FLN d'une tentative de déstabilisation, les islamistes de cette fin du monde qui pousse les femmes à se tuer nues et l'opposition d'un meurtre des Services. Finalement, ce n'est pas le fait lui-même qui est important, c'est son analyse. Ce n'est pas ce qu'il se passe en Algérie qui est significatif, mais la lecture qu'on en fait. Dans quelques jours, le président va rencontrer la société civile. S'ils n'ont rien à dire tous les deux à part s'entendre et manger ensemble, pourquoi se rencontrer ?