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Chants intimes de Sour El Ghozlane à La Casbah
Kaddour M'hamsadji. Ecrivain-journaliste, romancier, poète et chroniqueur
Publié dans El Watan le 12 - 05 - 2011

«Si l'Etat est fort, il nous écrase. S'il est faible nous périssons.»
Au contact de ce presque octogénaire qui en paraît nettement moins, au débit facile et à la mémoire fertile, l'esprit s'ouvre comme celui d'un écolier devant un livre d'aventures humaines, poignantes, parfois drôles. Kaddour M'hamsadji a de qui tenir, il est écrivain, poète, journaliste, pédagogue et accessoirement historien. «Un esprit encyclopédique» en somme qui peut raconter, sans se lasser, son enfance, à Sour El Ghozlane, en rappelant que sa famille est bien algéroise. De ses études à Boufarik et à Alger. De son militantisme syndical, de ses amitiés sincères avec Mouloud Mammeri et Kateb Yacine, de ses livres qui reflètent un peu les étapes de son parcours diversifié. Auteur de plusieurs ouvrages, Kaddour ne veut pas s'arrêter en chemin, et lorsqu'il évoque ses projets, ses yeux s'illuminent. «A Sour El Ghozlane où je suis né en 1933, j'ai été marqué par le mont Dirah, source d'inspiration de beaucoup d'intellectuels, et par la coexistence pacifique entre les communautés. Comme j'ai bien vécu la période vichyste, nous les Algériens n'avions aucune animosité envers les juifs. Notre religion tolérante n'autorisant aucune haine contre l'autre. Au contraire, nos enseignants et la population européenne en grande partie pétainiste nous incitaient à caillasser les juifs. Chose qu'on n'a pas faite. On vivait en bonne entente. Ce sont les colons qui ont créé cet esprit de détestation antisémite, et puis j'avais cette chance de fréquenter les adultes avec mon frère aîné Kheidredine, homme cultivé et militant nationaliste qui, après l'obtention du certificat d'étude, s'est construit tout seul en approfondissant ses études en arabe et en développant ses connaissances françaises par correspondance. Il gravira les échelons jusqu'à se procurer un job chez un interprète judiciaire bien connu à Sour El Ghozlane M. Benhamdine, qui le prendra sous son aile.»
Hymne à la gazelle
Dans son hymne à sa terre maternelle, notamment dans son livre Le petit café de mon père, Kaddour demande aux «Souaras» de ne pas trop croire à ses souvenirs car pleins d'imagination créatrice, de rêve nostalgique et de tendre fidélité. C'est sa façon à lui de rendre à Sour El Ghozlane un peu de ce qu'elle lui a donné. D'abord, l'éveil au nationalisme. «Il y a eu le scoutisme et l'influence du président de ce mouvement à Sour El Ghozlane. M. Daho, un notaire d'une grande sensibilité qui avait accueilli Ferhat Abbas à Sour El Ghozlane. «Il nous avait inculqué les rudiments du scoutisme et les segments du nationalisme. Il y avait aussi un personnage incontournable de la ville. Un écrivain public, Omar Mezghiche, dit Omar le démocrate, qui officiait gratuitement dans les cafés maures. A lui seul, c'était toute une école, il nous exhortait à être solidaires, à nous surpasser dans les études pour damer le pion aux Européens.»
Reçu en 6e sur concours, Kaddour rejoindra son frère aîné à Boufarik, où il enseignait les lettres arabes ; Kaddour y effectuera sa scolarité dans cette ville. «J'ai eu comme professeur d'arabe dialectal Mostefa Lacheraf. J'y ai connu Youcef Khatib, futur colonel de la Wilaya IV, Noureddine Bouhired, frère de la moudjahida Djamila Bouhired.» Kaddour évoluera même au sein de l'équipe de foot locale : le Widad. En 1951, la famille M'hamsadji largue les amarres et retourne à Alger où Kaddour est inscrit au lycée Bugeaud. «J'ai retrouvé Yacef Khatib et j'y ai connu Amara Rachid qui faisait philo. Je me préparais à entrer à la fac, mais les circonstances en ont décidé autrement.» Kaddour, sur concours, réussit son baptême à l'Ecole normale de Bouzaréah. «Je militais déjà dans le syndicalisme, encouragé par Bourouiba.» Et la passion de l'écriture ? «Elle m'accompagnait déjà très petit. C'est à Sour El Ghozlane que j'ai commencé à écrire de la poésie, des essais. Je collaborais à 13 ans à Alger Républicain grâce à un certain Ali Baba qui publiait mes textes. Je ne vous décris pas le bonheur qui s'emparait de moi à la vue de ma signature au bas de l'article. J'étais heureux comme tout.»Kaddour écrira sa première pièce théâtrale La Dévoilée en 1959, qui a eu un vif succès. «Il y a eu un bon jugement d'Albert Camus, alors que le grand Emmanuel Robles m'a fait l'honneur de me préfacer le texte. Pour rampe de lancement, on ne pouvait espérer mieux. Puis, j'ai publié Le silence des cendres, le premier roman traitant de la guerre d'Algérie selon la critique. Puis, il y a eu une floraison de poèmes.»
Ami de Mammeri
A l'indépendance, Kaddour se lie avec Mammeri, Senac et retrouve son ami du ‘‘bled'', Djamel
Amrani, qu'il n'avait connu qu'au lycée Bugeaud d'Alger. Kaddour renoue avec le syndicalisme à la FTEC et devient secrétaire général adjoint de l'Union des écrivains présidée par Mammeri.
«Kateb, je l'ai rencontré pour la première fois à l'indépendance au Tantonville. On est devenus amis. Nedjma est un chef d'œuvre et c'est peu de le dire. Hélas, on n'a pas encore étudié le psychodrame qui existe dans Nedjma, on a peut-être étudié la structure et la forme et ça s'arrête là. Kateb était un grand timide, très affectueux et très respectueux à mon égard. Malgré ses célèbres coups de gueule, je ne l'ai pas entendu dire quelque chose de désobligeant à mon égard. Quant à Mammeri, c'était un ami intime. On travaillait ensemble à l'Union des écrivains qu'il présidait. Pour l'anecdote, un jour à la fin des années 1960, on devait voyager à Cuba pour assister au congrès international de la culture. Il y avait un troisième écrivain de langue arabe qui devait effectuer le même déplacement avec nous, mais qui s'est montré récalcitrant vis-à-vis de Mammeri au sujet duquel il avait des préjugés. Il est quand même venu avec nous. Et c'est là-bas qu'il a découvert, pantois et à sa grande surprise, un Mammeri autre qu'il l'imaginait, car Mouloud était un homme pieux, d'une grande sensibilité et très fidèle en amitié. Je faisais le lien entre francophones et arabophones. C'est ainsi que j'ai connu Mohamed Laïd Al Khalifa, Moufdi Zakaria, Salah Kherfi, Bourboune, Kateb Yacine, Bachir Hadj Ali, Malek Haddad... Malgré le peu de moyens et la chape du parti unique.» Dans ses écrits,
Kaddour dit son enracinement dans sa ville natale et sa région et a chanté son attachement, sa profonde affection même pour les gens de la ville pour les gens de la campagne, pour tout ce qui donne l'honneur et le bonheur d'être parmi les siens.
A l'instar de ses amis, d'autres ‘‘Souaras'' célèbres comme Djamel Amrani, Messaour Boulanouar, Arezki Metref, Jean Claude Brialy, Mostefa Lacheraf, ou encore le barde qui sait mieux que quiconque affectionner le melhoun, je veux parler de l'inégalable Boudjerda...
Mais Kaddour ne se limite pas à cet espace géographique, ses idées vont au-delà. En fait, il chante l'Algérie toute entière avec le talent qui est le sien en déclamant fièrement : «Nous sommes tous nés quelque part en Algérie». Et puis, il y a La Casbah éternelle. «J'ai toujours été fasciné par elle. Dans mon enfance, j'allais souvent rendre visite à des parents qui y habitaient. J'en garde des souvenirs vivaces, surtout les jeux de la bokala auxquels on s'adonnait lors de veillées inoubliables. Mes écrits sur cette citadelle qui veille sur Alger la Mahrousa sont peut-être nostalgiques mais basés sur des réalités historiques irréfutables.»
La Casbah éternelle
«Je me suis résolu à proposer à mon lecteur, qui souhaite pénétrer dans La Casbah, deux portes, comme il en existe dans les anciennes demeures, d'abord celle qui s'ouvre sur la sqîfa, le vestibule, puis celle qui donne accès au ouast eddâr, le patio, protégeant ce qui fait le fond de l'âme de la maison. Dans mon propos, la première porte est une utile introduction, elle constitue ici un rappel historique et comprend deux vantaux : le premier est intitulé : De l'île aux mouettes à La Casbah, le second Quasbat El Djazaïr Zemân, (La Casbah d'Alger autrefois) : c'est l'objet du tome 1. La seconde porte apparaît ensuite comme le symbole d'une possible invite : elle s'ouvre sur El Djazaïr, Zemân, cité de traditions, de coutumes et de fêtes, c'est l'objet du tome 2.»
L'auteur touche-à-tout, curieux, s'attaque à l'histoire. En écrivant un livre sur l'Emir Abdelkader, Kaddour a sans doute voulu réparer un déni de l'histoire. «C'était un coup de gueule contre la colonisation. J'avais 13 ou 14 ans. Un jour, je suis tombé sur une poésie de Victor Hugo intitulée L'Oriental. L'écrivain français était exilé, et pour attaquer Napoléon III qui l'avait ainsi déporté, il s'était imaginé l'empereur entrant dans la geôle de l'Emir en se posant des tas de questions devant cet homme, ce tyran aux mains ensanglantées qui a semé la désolation au sein de la population coloniale : naturellement, la carte de visite de l'Emir était tout autre.
C'était un super héros sorti à peine de l'adolescence. Alors là, j'ai commencé à haïr Victor Hugo. A la fin du siècle dernier, j'ai entamé des recherches qui ont duré 15 ans en me déplaçant à Mascara pour réunir toutes les informations relatives à cet homme. Comment ce poète, ce guerrier théologien soufi, diplomate et chef de guerre, peut-il être un sanguinaire ? J'ai consulté de nombreuses bibliothèques de par le monde sur plusieurs années, et j'ai abouti à la naissance de cet ouvrage salué par les historiens.» Abdelkader, à l'origine de la nation algérienne, est le symbole de la résistance en tenant tête au corps expéditionnaire des troupes d'Afrique lors de la conquête de l'Algérie par la France. Les jeunes d'aujourd'hui, plus attirés par Facebook que par les livres, vivent souvent dans des mondes virtuels. «Il ne faut pas jeter la pierre à la jeunesse. Elle n'est que le produit d'une école déshéritée qui a fait fiasco. Chez nous, les jeunes passent sans transition de l'enfance à la
majorité : vous n'avez qu'à voir ce qui se passe à l'école où l'encadrement a besoin d'être encadré et où l'inspecteur joue beaucoup plus au gendarme qu'au pédagogue.» Les réformes ? «Elles resteraient longtemps encre sur papier s'il n'y a pas les compétences et les volontés pour les promulguer, les appliquer sur le terrain, car il ne suffit pas de décréter, il s'agit beaucoup plus d'une stratégie méthodologique et pédagogique à inventer».


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