Située sur la rive gauche de l'oued Guergour, à l'entame de la Khanga, une étroite gorge de l'oued El Kebir, qui marque aussi la limite de la riche plaine d'El Tarf gagnée elle aussi par le béton, malgré les mises en garde des gouvernements successifs, Guergour est une localité indéfinissable qui borde la RN 44. C'était à l'origine une discrète mechta enfouie dans la verdure. En 1985, avec la création de la wilaya d'El Tarf, on a implanté 201 chalets préfabriqués pour loger les cadres de la wilaya. La croissance démographique aidant, on a construit depuis 1998, 50 logements sociaux accrochés aux flancs instables de la montagne qui sont venus s'ajouter aux dizaines de constructions précaires. C'est aujourd'hui, avec Metroha et Aïn Khiar, l'une des trois agglomérations secondaires satellites du chef-lieu d'El Tarf dont elle est distante d'à peine 4 km. Elle compte près de 3000 habitants. Depuis quelques années, la colère gronde sporadiquement à Guergour, où les cadres de la wilaya, qui sont restés faute de trouver mieux ailleurs, disent avec amertume qu'ils se taisent devant l'inacceptable, par crainte de représailles de l'administration locale. Au départ, ils ne devaient y loger que 18 mois, le temps pour la jeune wilaya de rebondir sur ses pieds et cela fait 20 ans que cela dure. Ces cadres d'autrefois, à la retraite ou presque, ne sont plus les seuls à réclamer un remède radical à la situation qu'ils endurent, car les habitants appartiennent aujourd'hui à toutes les catégories sociales. Ils sont plus jeunes et impatients. Les routes défoncées avec des ornières profondes comme la fosse des Mariannes, n'ont pas été refaites depuis 1985. Pas d'éclairage public, alors qu'il y en a le long de la double voie de 4 km, juste en dessous de l'agglomération. Pas d'eau courante et imbuvable lorsqu'elle est distribuée deux heures tous les deux jours. Le ramassage des ordures ménagères est irrégulier, et il lui est arrivé d'être oubliée plusieurs semaines, comme pendant la campagne électorale, et l'assainissement est tout bonnement absent. Le médecin qui doit passer toutes les semaines au centre médical s'oublie lui aussi, alors que l'attendent des patients qui n'ont pas les moyens de se rendre chez un médecin au chef-lieu. Il n'y a pas, comme à Metroha et Aïn Khiar, un fauteuil dentaire pour prendre en charge les plus démunis, et bien entendu pas de sage-femme, et la nuit lorsque le transport public cesse, il n'y a aucun moyen d'évacuer un malade. Comment expliquer que l'opération du couffin de Ramadhan n'a pas touché la population de Guergour ? « Il y a une image qui nous colle à la peau, le parti dissous s'est implanté ici lorsqu'il avait le vent en poupe. Quinze ans après, on continue de nous le faire payer. Une punition collective », s'indigne un vieux, qui peine à marcher et qui ne trouve pas d'autre explication à ce bannissement, puisqu'un maire lui a répondu un jour : « Je ne peux rien pour vous, car vous avez mal voté. » Mais en vérité, cette condition aussi pénible et insupportable soit-elle pour Guergour n'est pas la principale raison de la colère de ses habitants. « Nous avons eu 6 cas de mortalité de cancer des poumons avérés et constatés, il y en a d'autres mais passés sous silence », nous dit un habitant qui ne cache pas la cause de la mort de sa femme. « Nos enfants sont, selon les statistiques sanitaires, les plus touchés à El Tarf par les affections pulmonaires. On compte 250 cas déclarés », rapporte encore un membre de l'association de quartier. La cause : l'amiante. Silicate naturel hydraté de calcium et de magnésium, à contexture fibreuse, utilisé pour fabriquer des matériaux de construction, comme celui avec lequel sont construits les chalets de Guergour. Le président de l'association nous raconte qu'« en 1998, excédé par l'indifférence dans laquelle on tenait ce danger, connu de toutes les autorités, nous avons commencé à soulever ce problème. A la suite de cela, il y a eu commission de l'APW qui a constaté et conclu que l'habitat présente des risques dangereux à cause de la présence d'amiante dans les matériaux de construction hautement cancérigène et de la vétusté des habilitations qui accentue considérablement ce risque. Il y a eu ensuite le ministre de l'Habitat et deux walis qui sont passés à plusieurs reprises, des commissions en nombre incalculable et des candidats aux élections à la pelle. Des dizaines de résolutions, d'engagements, de réunions, de PV dûment paraphés et signés par des responsables représentant l'Etat, des promesses de ces mêmes responsables avec la main sur le cœur. Et puis rien ». Des solutions ont été proposées comme celle par exemple de céder la parcelle sur laquelle sont déposés les chalets et permettre à l'habitant de démolir le chalet et de construire avec des matériaux classiques. Ou encore de recaser les gens dans les logements sociaux. Elles n'ont pas été mises en application et seulement huit familles ont accepté la proposition d'être recasées dans des F2 à Yous. Un échange pas très égal. Et puis encore le black-out et les oubliettes. En avril 2004, le 26 pour être plus précis, les habitants de Guergour barrent la RN 44. Le comité de quartier, qui est mis à contribution pour apaiser la situation dans la perspective de l'élection présidentielle, obtient un arrangement sur le versement des loyers qui doit cesser à partir de 2002, et on institue une énième commission avec les services techniques de l'habitat, des domaines, du CTC, de l'OPGI, etc. qui constatent et concluent que les habitations sont périmées et recommandent vivement qu'elles doivent être évacuées au plus vite. Et plus rien encore. Le 10 juillet dernier, des habitants de Guergour sont allés chercher l'information sur la suite réservée à leurs dossiers. Ils apprennent par le directeur de l'OPGI que le ministre vient de se saisir de leur affaire, mais qu'il n'y a pas encore de réponse et menacent de fermer la route. Les membres de leur association calment le jeu en échange d'un engagement ferme d'être reçus pour relancer le wali, qui, dit-on, a définitivement fermé sa porte aux protestations venant de Guergour.