Ce soir, à la salle Atlas, un des spectacles les plus prenants au monde. Invités pour les journées culturelles turques de «Tlemcen, capitale de la culture islamique», les derviches tourneurs se produisent ce soir à Alger (18 h 30), à l'invitation du ministère de la Culture et de l'ambassade de Turquie en Algérie. Ils empruntent, peut-être, le même chemin que leurs aînés durant la période ottomane. Mais, s'il est sûr que le rite sunnite hanafite était bien présent à Alger à partir du XVIesiècle, à travers les Turcs, rien n'atteste que les émules de Djallal Eddine Errumi s'y soient manifestés. Les derviches tourneurs, une des plus grandes attractions touristiques de la Turquie, sont loin pourtant de se résumer à ce statut, ni à celui d'une compagnie de danse. Leur naissance est liée à l'histoire du soufisme et, particulièrement, à Djallal Eddine Errumi, mystique et poète, né dans le Khorassan, au nord-est de l'Iran, et décédé en 1273 à Konya, en Turquie. C'est lui qui a fondé la tarîqa (voie) al Mawlawiya, connue sous la dénomination de derviches tourneurs. Le mot «derviche» vient du persan «dervès» (mendiant), attribué peut-être à la confrérie, en raison de la pauvreté de ses membres qui, comme tous les Soufis, font peu cas des jouissances terrestres. La danse lancinante et giratoire se nomme le «samâ'» qui est en fait «une cosmogonie chorégraphique, puisqu'elle symbolise le mouvement des planètes autour du soleil». Ce thème, cher à Djallal Eddine Errumi, s'inscrit dans une vision globale de l'univers créé par Dieu et qui est organisé à différentes échelles de manière analogique. Dans le Livre du Dedans, œuvre majeure de Errumi, celui-ci affirme même que «l'être humain est l'astrolabe divin». Il ajoute plus loin : «Pour les hommes de Dieu, la prière rituelle et le samâ' constituent un moyen de faire voir à ceux qui y assistent comment ils se conforment aux commandements de Dieu et aux interdits qui leurs sont particuliers». La danse rituelle, pleine de symboles y compris sur les costumes, consiste, selon Errumi, à «refléter» par le «comportement extérieur», la «conformité intérieure». Eva de Mitray-Meyerovitch, qui fut une éminente spécialiste du soufisme, affirmait que «la danse rituelle est le symbole de cette loi fondamentale d'analogie qui régit toute chose, elle est une maïeutique qui tend à faire prendre conscience» mais qui doit être complétée par l'enseignement du maître pour faire accéder le disciple à la «pleine stature spirituelle» (préface au Livre du Dedans). Ceux qui auront la chance de voir ce spectacle devront se munir de lunettes en 4 D pour tenter d'accéder aux profondeurs d'une danse que l'on peut qualifier de danse du dedans !