C'est surtout grâce à Regina Keil-Sagawe que des romanciers aussi talentueux que Mohamed Dib, Mouloud Féraoun, Tahar Ben Jelloun, Yasmina Khadra ou Rachid Boudjedra sont parvenus à se glisser dans la langue de Bismark et de Heigel. C'est en compagnie de Habib Tengour, auteur romancier et enseignant universitaire en France, que la séduisante Regina Keil-Sagawe vient d'effectuer un fructueux séjour sur les berges asséchées de Aïn Sefra. Celle qui, depuis bientôt 15 ans, s'applique dans une quasi dévotion à faire connaître la littérature maghrébine d'expression française chez les cousins de Goethe et Nietzche. Invitée dans le cadre de Tlemcen capitale de la culture islamique, elle n'existe pas un seul instant à suivre à la trace l'enfant terrible de Tigditt, dont elle a traduit plusieurs ouvrages. L'ayant croisé lors du salon du livre de Paris en 1987, Régina Keil s'est attelée d'emblée à faire découvrir cette littérature jusque-là totalement inconnue du public allemand. C'est surtout grâce à elle que des romanciers aussi talentueux que Mohamed Dib, Mouloud Féraoun, Tahar Ben Jelloun, Yasmina Khadra ou Rachid Boudjedra sont parvenus à se glisser dans la langue de Bismark et de Heigel. Mais, auparavant, Régina s'est fait violence en partant à la découverte de la sève nourricière de cette littérature qui, en plus de véhiculer un vécu spécifique, se permet de le transmettre à travers une langue d'emprunt.Ce sont ces contraintes qu'elle a pris un malin plaisir à étaler avec volubilité face aux étudiants de français de la faculté des lettres de Mostaganem. Venus fort nombreux, ils ont eu beaucoup de peine à trouver place dans cette minuscule salle du Chemin des Crêtes, siège de l'ex-Institut de Chimie. Une indispensable alchimie des mots La littérature maghrébine lui doit, entre autres, une anthologie de 400 pages, avec en offrande pas moins de 60 textes empruntés à 35 auteurs maghrébins. Aux élèves qui l'écoutaient religieusement, elle a conté les multiples contraintes inhérentes à la nécessaire transposition d'un vécu particulier vers une langue et une culture d'accueil dépourvues des indispensables passerelles. Elle n'a pas omis de souligner le nombre incalculable d'écueils qu'elle a contournés afin de garder à la poésie originelle sa sensibilité et son ancrage. Mais l'instant le plus sensible sera la visite du vieux quartier de Tigditt où la sémillante allemande a retrouvé non sans émotion les lieux où vécurent ses héros d'emprunts. À chaque évocation d'un toponyme, elle se replongeait instinctivement dans l'œuvre originelle, démontrant ainsi sa profonde imprégnation de cette culture. Au point d'en épater l'auteur lui-même. Plus qu'un voyage initiatique, cette visite de Régina ressemblait plus à un retour aux sources. C'est dire à quel point la complicité entre l'auteur et sa traductrice a été fusionnelle. Une fusion sans laquelle toute traduction ne serait point un simple verbiage mais plutôt une suave et savante alchimie des mots.