Le bilan de la répression des médecins contestataires : des dizaines de blessés dont 27, avec certificat d'incapacité de travail, un cas grave de pneumothorax traumatique et trois fractures. Au bout de trois mois de grève, rien n'a changé.Les hôpitaux sont dans une situation lamentable. Le bras de fer entre médecins résidents et pouvoirs publics se durcit. La grève illimitée est maintenue et la contestation se renforce tandis que le gouvernement refuse de lâcher du lest. Le ministre de la Santé avait commencé par accuser les médecins grévistes de verser dans l'opportunisme, avant que le Premier ministre Ahmed Ouyahia ne clôture le débat en leur reprochant de manquer de patriotisme et de tourner le dos aux malades. Résultat : le débat se politise et s'éloigne des véritables problèmes à traiter. Le sit-in pacifique du 1er juin à la place du 1er Mai, une manifestation organisée pour exprimer une révolte contre le traitement que réserve la tutelle aux revendications émises par les médecins, a viré en bastonnade en ne faisant qu'envenimer la situation. Des dizaines de blessés, parmi les médecins contestataires, dont 27 avec certificat d'incapacité de travail, un cas grave de pneumothorax traumatique et trois fractures. Les médecins résidents s'organisent et ont déjà pris contact avec un collectif d'avocats en vue de déposer une plainte pour coups et blessures volontaires. Pour sa part, la commission devant statuer sur le service civil s'est terminée sans avoir trouvé un terrain d'entente entre les deux parties. Reçus par le président de l'APN, Abdelaziz Ziari, les médecins résidents portent beaucoup d'espoir sur sa proposition d'installer un véritable débat sur l'échec du service civil. Le président de l'APN avait justement plaidé pour l'installation d'une commission d'enquête indépendante sur la question de la couverture sanitaire dans le pays. C'est la première démarche d'ouverture donnée aux revendications des résidents. Ils misent d'ailleurs beaucoup sur cette proposition pour une éventuelle sortie de crise. Reste à savoir par quelle voie le président de l'APN peut plaider cette proposition. En attendant, des échos alarmants continuent de parvenir des quatre coins du pays sur la situation lamentable qui prévaut dans les hôpitaux. Trois mois de grève et un débat qui s'éloigne de plus en plus du véritable malaise qui l'anime. à l'origine de cette grève, un malaise Le service civil est la principale revendication du collectif des médecins résidents. Ils n'en parlent qu'en mettant en avant un échec cuisant dans ses objectifs d'assurer une couverture sanitaire complète à travers le pays. «Le service civil est un échec, preuve en est : des malades continuent d'être transférés vers les hôpitaux des grandes villes, notamment la capitale parce qu'ils ne peuvent pas être pris en charge dans les autres structures hospitalières», explique le Dr Zerizer, délégué de l'hôpital Mustapha. L'échec du service civil est justement sur toutes les lèvres. «J'ai effectué mon service civil à Biskra durant deux ans, en tant que cardiologue. C'était une véritable perte de temps», argumente un médecin spécialiste de la capitale. Et d'ajouter : «Nous n'avions pas de matériel adéquat, ni de réanimateur, je n'ai fait que traiter des cas qui relèvent de la médecine générale, les patients ayant besoin de soins cardiologiques spécifiques étaient transférés vers la capitale.» La réponse de la tutelle a été sans équivoque : les résidents manquent de patriotisme et tournent le dos à leurs malades. «Les politiques en font une question de souveraineté nationale et nous accusent de manquer de patriotisme, alors qu'eux se traitent au Val-de-Grâce pendant que leurs enfants étudient à l'étranger. C'est un débat faussé alors que nous militons justement pour une meilleure qualité de soins pour les Algériens qui ne peut se réaliser que par de bonnes conditions de travail pour les médecins», tranche le Dr Yelles, un autre délégué de l'hôpital Mustapha. Les médecins résidents, qui sont obligés de passer leur service civil une fois leur résidanat achevé, n'ont pas peur d'aller encore plus loin dans leur argumentation : «Le service civil répond à une politique du chiffre mais ne règle pas les problèmes de la couverture sanitaire dans les zones enclavées. La tutelle veut juste sauver la façade mais ne se préoccupe pas de la réalité du terrain.» L'échec du service civil Ils demandent, de ce fait, l'abrogation de l'obligation du service civil mais insistent sur une nuance de taille : «Nous ne voulons pas supprimer le service civil, nous voulons que tous les citoyens du pays puissent avoir accès à des soins de qualité, seulement nous pensons qu'il n'est pas normal que ce service civil soit obligatoire alors qu'il serait plus pertinent d'ouvrir des postes budgétaires dans toutes les wilayas du pays avec des mesures incitatives», explique une résidente de l'hôpital Parnet. C'est justement cette obligation de service civil qui pose problème aux résidents. Une mesure «injuste» et «discriminatoire» étant donné que les autres disciplines universitaires ne sont pas soumises à l'obligation de payer «aussi cher» leur accès gratuit à l'enseignement supérieur. Ils demandent donc son abrogation mais non sans proposition d'une alternative : des mesures incitatives telles que la mise à disposition de plateaux techniques en adéquation avec leur qualification, des logements de fonction à proximité du lieu de travail et la majoration des salaires en fonction des zones de travail. Ce qui amène à une refonte profonde du système de santé. Pour le Dr Zerizer et tous ses collègues résidents, la solution est très simple : «Il faut lever l'obligation car c'est une source de dépassement.» Et de conclure : «Pourquoi rester sur la coercition qui n'est pas une politique de santé alors qu'on peut travailler sur l'incitation qui permettrait aux médecins d'exercer sereinement et aux malades de jouir de meilleurs soins ?» Une question à laquelle la tutelle ne répond pas.