Mohamed Khassani, jeune humoriste au talent plus que prometteur, a réussi le tour de force, mercredi dernier, de faire rire aux éclats toute la salle du TRO, qui était bondée. Son monologue Men Al Afan lel Al Fan, dont la traduction littérale signifie grosso modo «de l'abîme à l'art», met en relief les élucubrations d'un éboueur, dont le quotidien est tourmenté par l'incivisme de ses semblables. C'est toute une fresque qui est dépeinte, celle d'une société algérienne, vue des yeux de celui qui, à longueur de journée, essaye de faire reluire ses rues. Il apprendra ainsi à ses dépens que son métier, pour être noble, lui en fera voir de toutes les couleurs : les gens n'hésitant pas ainsi à balancer leurs poubelles par leurs fenêtres, ou, pour les moins inciviques, de les jeter en vrac dans la rue, sauf précisément là où il faut, c'est-à-dire dans la benne à ordures. Cet abîme et cette dégénérescence seront le lot de son quotidien, et cela jusqu'au jour où, par inadvertance, une jeune femme, passant à ses côtés, lui emplira l'âme de joie, et cela pour lui avoir seulement… sourit. «Caressé» ainsi du regard, sa vie va basculer d'un coup, même si pour ce faire il se voit contraint de changer de métier, qui le voit, hélas, auprès de sa nouvelle conquête, comme un handicap. C'est donc sur l'épaule de son meilleur ami, un homosexuel notoire, passant son temps dans les cabarets de la ville, qu'il va se confier, se pencher sur ses galères, et sur ses moments de doute. Et là, une brèche mérite d'être ouverte : il faut reconnaître chez Mohamed Khassani une volonté de donner des coups de pied dans la fourmilière. De ne point se contenter d'user de ce rire «gentillet» et niais, celui que tout le monde accepte, et qui ne fait rire que les collets un peu trop montés. Tabous Au contraire, Khassani se plaît à bousculer les gens, à faire de la «provoc», et cela dans le but, inconsciemment ou pas, de briser les tabous. On se souvient, lors de son précédent spectacle, Mariage moderne, de la séquence, ô combien hilarante, où il rend un soûlard sympathique aux yeux du public. Pour ce nouveau cru, c'est le tabou de l'homosexualité qui est brisé : il octroie à ce «gay» luron un rôle positif, et cela sans qu'il ne soit question, tout le long du spectacle, du moindre préjugé. Et force est d'admettre que le public, loin de rechigner, rit volontiers des mimiques de ce meilleur ami, et va même jusqu'à le prendre en sympathie. C'est donc un monologue à la fois drôle et tout en finesse que le TRO a eu à abriter mercredi dernier, où on ne regrette, hélas, que les brèves séquences, un peu pompeuses, où il est question de «moralité». Mais pour le reste, fort heureusement, le rire est garanti, et ce qu'offre l'humoriste à la salle est un vrai moment d'évasion. En collaboration avec les associations Kitab Wel Founou et Noujoum El Merah, Men al Afan lel Al Fan est le deuxième one-man-show de Mohamed Khassani qui, de par sa dégaine, est assurément le nouveau Djamel Debbouze algérien. Ne reste plus qu'à espérer voir ce monologue rejouer encore au TRO et un peu partout en Algérie, et cela dans les plus brefs délais.