La commission des réformes politiques pilotée par Abdelkader Bensalah, le général Touati et Mohamed Ali Boughazi, a bouclé hier son 17e jour de consultations. Malgré les assurances données par le président de la République quant au «sérieux» de la démarche, les acteurs les plus crédibles de la scène politique et sociale, à l'exemple des partis de l'opposition et des associations autonomes de la société civile, ont néanmoins refusé d'y prendre part. Raison avancée pour motiver leur refus : cette instance de consultation instaurée de manière unilatérale par le pouvoir n'est destinée à rien d'autre qu'à absorber la colère de la population et donner l'illusion d'un changement. Boudée, y compris par d'anciens hauts responsables, à l'image de Mokdad Sifi, la commission Bensalah n'attire plus aujourd'hui que les organisations pro-pouvoir et des acteurs soucieux uniquement de se placer et de goûter à la rente. Bref, il s'agit de gens qui y vont pour faire des offres de service. Et l'idéal, pour eux, serait d'en ressortir avec le statut de sous-traitants politique. Connaissant les «us» du système, le ballet politique sera long. Aux dernières nouvelles, la commission Bensalah se serait d'ailleurs donné le pari de recevoir près de 250 «invités»… histoire, bien évidemment, de noyer le poisson et de minimiser le poids de l'opposition.Ce simple constat (la désaffection d'une partie de la classe politique et de la société, ndlr) suffit déjà, soutient Mohammed Hennad, enseignant à l'Institut de sciences po d'Alger, à discréditer le processus de réformes initié par le président de la République. Estimant que la priorité des priorités est la conclusion d'un contrat social, M. Hennad a indiqué que l'idéal, pour crédibiliser ce projet de réformes, aurait été d'abord d'instaurer des mesures de confiance et d'envoyer des signaux forts à la société. Des signaux, a-t-il poursuivi, susceptibles de prouver la volonté des tenants du pouvoir d'opérer de réels changements. Le meilleur des signaux aurait été, d'après lui, de désigner un nouveau gouvernement et d'organiser des élections législatives libres. Mohammed Hennad, qui était l'invité, hier, du forum hebdomadaire du journal Echaâb, en compagnie du politologue Abdelkader Mahmoudi, pour animer une conférence sur les réformes politiques en Algérie et les changements survenus dans le monde arabe, pense ainsi qu'il aurait été plus logique que ces réformes soient discutées et passées au crible par un Parlement représentatif. Il regrettera également qu'au-delà du simple discours d'intention, le pouvoir n'ait rien entrepris pour favoriser la libre expression et préparer les conditions à une pratique politique libérée des pesanteurs du passé. De la poudre aux yeux Concrètement, y a-t-il tout de même d'attendre un petit quelque chose des consultations politiques menées au pas de charge par Abdelkader Bensalah et son staff ? Mohammed Hennad se montre des plus pessimistes. Pour lui, il n'est pas exclu de voir le pays revenir à la case départ sitôt que ces discussions seront terminées. Pourquoi ? Tout simplement parce que rien n'aura été réglé. Tout en reprochant au pouvoir de privilégier l'approche sécuritaire au détriment de la promotion du politique, le conférencier a insisté sur l'idée que des réformes politiques ne peuvent être perçues comme telles, que si le changement qu'elles sont supposées apporter s'accompagne d'un renouvellement des élites politiques. Ce qui, a-t-il fait remarquer, est encore loin d'être le cas en Algérie. A la question de savoir pourquoi les tenants du pouvoir ne veulent pas d'un changement allant dans le sens d'une plus grande démocratisation du pays, M. Hennad répondra qu'ils en sont soit incapables, soit carrément opposés à l'idée de le faire par crainte de perdre leurs privilèges. Pour lui, le plus gros problème de l'Algérie reste toutefois la question du respect des lois. «A quoi peut bien servir en effet de réformer si à la première occasion on s'empresse de ‘‘violer'' la Constitution, comme cela a été fait en 2008», s'est-il interrogé. Abondant dans le même sens, Mahmoudi Abdelkader – qui, pour sa part, a parié sur carrément «l'effondrement des pays arabes avec l'événement de la mondialisation» en raison des multitudes désillusions connues par les populations et des dysfonctionnement, nombreux, qui affectent leurs systèmes politiques ainsi que ceux d'ailleurs des organisations régionales, comme la Ligue arabe – s'est dit persuadé aussi qu'il ne faudra rien attendre de spécial de la commission Bensalah. Commission qu'il a qualifiée au passage de «carnaval». Pour preuve, il signalera qu'outre le fait que le pouvoir s'est encore érigé en qualité de juge et partie, aucun travail sérieux, censé répondre aux questions : «Pourquoi réformer ?» «Qui réforme ?», «Quoi réformer ?» et «Comment réformer ?», n'a été mené à ce jour. Ce sont, justement, tous ces éléments qui ont conduit nos deux chercheurs à déduire que les réformes proposées par Abdelaziz Bouteflika à la société risquent de n'être que de la poudre aux yeux.