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«Le critère de compétence joue moins dans les élections au poste de directeur général du Fonds monétaire international» Camille Sari. Docteur en finances et expert international
- Le départ de Dominique Strauss-Kahn du Fonds monétaire international (FMI) a ouvert la voie à la concurrence pour sa succession. Alors qu'Européens et Américains tentent d'imposer leur nom, la Chine, chef de file des pays qui critiquent la mainmise des Européens sur le poste de directeur général du FMI, déclare que les jeux sont ouverts. Quelle est votre analyse de la situation ? Il y a une règle non écrite, depuis les accords de Bretton Woods qui ont fondé le FMI et la Banque mondiale, qui veut que la première institution soit dirigée par un Européen et la seconde par un Américain. C'est le cas jusqu'à présent, et cela ne va pas changer, au moins pour cette fois-ci. En réalité, tout se joue au niveau du conseil d'administration, dont les sièges sont occupés majoritairement par les Etats-Unis (16% des voix) et l'Union européenne. Dès l'instant où ces deux blocs ont accordé leurs suffrages à Christine Lagarde, la ministre de l'Economie et des Finances française pouvait être assurée de son élection. La Chine, qui ne dispose que de 3,8% des voix a une influence très limitée, ainsi d'ailleurs que les autres pays émergents. De plus, ce pays est un modeste contributeur aux finances du FMI. Visiblement, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) n'ayant pas réussi à se mettre d'accord sur une candidature unique, ne seraient donc pas mécontents d'avoir à la tête du FMI un Européen. Les prises de position de la Chine sont justifiées par le fait que ce grand pays, en termes de population et de PIB, veut prendre date et contester la suprématie américano-européenne. Mais il faudrait aux pays émergents augmenter leur participation financière au FMI et coordonner leurs efforts en vue de peser davantage sur l'échiquier international. - Christine Lagarde a-t-elle les atouts nécessaires pour être élue à la tête du FMI, face aux résistances des pays émergents, la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie et l'Afrique du Sud ? Le critère de compétence joue moins dans ce genre d'élections. Cela ne veut pas dire que Christine Lagarde n'a pas d'atouts, mais, à mon avis, elle a plutôt le profil d'une juriste internationale, ayant fait ses preuves au cabinet américain Baker & Mckenzie. Elle a été classée 5e femme d'affaires dans le monde en 2006. D'autres personnalités plus compétentes sur le plan économique mériteraient d'occuper ce poste. Paul Krugman et Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, ou Olivier Blanchard, actuel économiste en chef du FMI, seraient de bons candidats, mais le critère principal qui fera pencher la balance n'est pas d'ordre technique mais diplomatique. Dominique Strauss-Kahn alliait aisément le sens politique et la maîtrise des dossiers économiques. Il pouvait faire des propositions sur les réformes monétaires et financières et donner un avis sur l'économie d'un pays ayant besoin d'un soutien économique en toute connaissance de cause. Ceci étant, le patron du FMI n'a pas les mains libres et doit s'entourer des meilleurs conseillers, mais ses décisions sont encadrées par les actionnaires, c'est à dire les Etats membres du conseil d'administration. Le directeur général démissionnaire avait aussi une doctrine, le Keynésianisme, qui prône l'intervention publique et la régulation. Christine Lagarde ne fait pas partie d'une école économique, car elle a fait des études de droit et serait donc obligée, si elle était élue, de consulter son staff et de lui faire confiance. - Le débat autour de la réforme du Fonds monétaire international ne se pose-t-il pas à nouveau à la faveur de cette guerre de succession qui s'est déclarée ? Y a-t-il espoir de remettre sur la table cette histoire de réforme des institutions de Bretton-Woods ? Le FMI a commis des erreurs monumentales dans le traitement des dossiers des pays en difficulté. Il a mis en place des recommandations dans le cadre des plans d'ajustements structurels à la fois draconiens et uniformes, quelles que soient les réalités économiques et sociales du pays concerné. Autrement dit, il a appliqué les mêmes remèdes à des malades souffrant de maux diamétralement opposés. Le département Théorie et Recherche échafaudaient des mesures inspirées du paradigme monétariste libéral. Il mettait l'accent sur la dévaluation de la monnaie nationale (afin d'augmenter les exportations et de diminuer les importations), la privatisation des entreprises publiques, la réduction drastique des dépenses sociales, la libéralisation des marchés de biens et de services, ainsi que les marchés financiers, la suppression des subventions aux produits de première nécessité, la baisse de l'inflation et la libéralisation des échanges commerciaux. J'ai fait le bilan de ces plans d'ajustement structurel (PAS) appliqués à 77 pays dont, les pays du Maghreb. Ma conclusion fut sans appel : tous les pays qui ont mis en place les PAS ont connu une baisse de leur taux de croissance, la déstructuration de leur appareil productif et une hausse des inégalités sociales et la pauvreté. Parmi les conséquences figurent également des explosions sociales (en Algérie en 1988, au Maroc en 1981 et 1984) avec, à la clé, des centaines de morts. Les politiques économiques de ces deux pays sont impactées par les recommandations de l'institution née des accords de Bretton Woods. Le FMI a abandonné le consensus de Washington qui soutenait la doctrine libérale, et son orientation a changé en faveur d'une individualisation du traitement pour chaque cas qui se présente. La prise en compte des paramètres sociaux est actée, ainsi que la recherche d'un développement équilibré. Espérons que le changement de direction au FMI ne donnera pas l'occasion aux pays dominant le conseil d'administration de changer de politique avec l'aval d'une libérale à sa tête en la personne de Christine Lagarde. Mais on a constaté que même des personnalités de droite peuvent avoir un discours et une pratique keynésiens. La situation du monde l'impose et les équilibres sociaux imposent la stabilité sinon le printemps arabe se répandra comme une traînée de poudre au-delà de l'Euphrate. - Quel est votre avis par rapport à l'affaire DSK ? Y a-t-il, selon vous, l'ombre d'un complot dans cette histoire, ou s'agit-il d'une question qui relève exclusivement des mœurs ? Depuis l'éclatement de cette affaire, j'ai interrogé beaucoup de ses amis et je suis frappé par leur réaction négative à son égard quant à son comportements éthique et sexuel. J'ai mis cela sur le compte des conflits d'ordre politique. L'homme est réputé aimer les femmes, mais avec un fort empressement afin d'obtenir ce qu'il voulait. Par contre, je ne suis pas persuadé que ce soit un malade irrationnel. Il devait user, et peut-être abuser, de son autorité et de sa position sociale. Personne ne peut affirmer ce qui s'est réellement passé. Mais je n'exclus pas la thèse du complot et je la privilégie même. Les Etats-Unis n'ont jamais eu un président français aussi proche de leurs intérêts et aussi prompt à les suivre dans leurs décisions les plus contestées. Nicolas Sarkozy est en rupture totale avec la politique gaullienne qui a toujours pris ses distances avec l'Oncle Sam. Je ne crois pas à la thèse d'une police et d'une justice étatsunienne insensibles aux intérêts fondamentaux du pays. D. Strauss-Kahn était sur le point de devenir le 7e président de la Ve République française. Cela ne laisserait pas indifférentes la CIA et l'administration étatsunienne. Autre fait troublant : d'après le journaliste Len Levitt, le patron du New York Police Department, Raymond W. Kelly, a reçu la légion d'honneur de Nicolas Sarkozy, alors ancien ministre de l'Intérieur français. Le présumé viol s'est déroulé à l'hôtel Sofitel, filiale du groupe français Accor. Tout cela mérite éclaircissements.