Le parc de loisirs de Ben Aknoun qui abrite un espace d'attractions, un zoo et deux établissements hôteliers traverse une véritable crise. Conflits internes, problèmes de financements, retard de payement des salariés, habitations illicites au sein-même du site, affaires en justice, autant d'éléments qui menacent la survie du parc. Ses employés se soulèvent et dénoncent une mauvaise gestion. Ils réclament une commission d'enquête pour faire la lumière sur cette situation. Nassima, 35 ans, cache les quelques mèches qui sortent de son foulard, arrange sa longue robe avant de s'installer sur le gazon. Autour d'elle, cinq enfants attendent que leur déjeuner leur soit servi. «Je prépare les sandwiches à la maison le matin, pour éviter des frais en plus et garder le maximum d'argent pour les attractions», avoue-t-elle en souriant. Salima est une habituée du Parc d'attractions de Ben Aknoun. Les allées presque désertes et la musique chaâbie qui s'échappe des enceintes de vendeurs de barbe à papa et autres fidèles au poste, malgré l'absence flagrante de visiteurs, elle connaît. Les ordures qui s'entassent dans les coins à travers tout le parc, elle connaît aussi. Mais Salima n'en fait pas cas. Les quelques manèges pour enfants qui fonctionnent encore suffisent à lui donner le sourire. Elle est l'une des rares personnes à s'aventurer en famille dans les coins ombragés du Parc d'attractions de Ben Aknoun pris d'assaut par les jeunes couples en quête de calme et d'isolement. Le Parc de loisirs de Ben Aknoun semble bien morose en cette mi-juillet, malgré les cris de joie des enfants de Salima. Et le soleil de plomb qui malmène les Algérois en ce moment n'est pas à l'origine de cette ambiance qui n'a rien d'attractive. Le parc traverse une véritable crise. Conflits internes, problèmes de financements, retard de payement, habitations illicites au sein- même du site, affaires en justice, autant d'éléments qui menacent la survie du parc. Gérontocratie et sénilité paralysante ? Une surface de 34 hectares comprenant un espace d'attractions, un zoo et deux établissements hôteliers censés receler des trésors de détente et de quiétude. Il n'en est rien. Le parc de loisirs de Ben Aknoun s'enfonce d'année en année dans le délaissement. Pourquoi ? De l'avis de Nordine Naab, employé du département d'exploitation du parc depuis 1988, la réponse est toute simple : «La mauvaise gestion est à l'origine de toute cette dégradation, accentuée ces quatre dernières années par l'arrivée de six cadres dirigeants retraités qui posent problème.» 2007, une année charnière pour l'Epic du Parc de loisirs de Ben Aknoun qui a vu l'arrivée de nouveaux cadres dirigeants, des retraités de la Direction générale des forêts (DGF) accusés par l'ensemble des employés, quelque 670 travailleurs, par la voix du syndicat et du comité de participation de l'entreprise d'être «des dirigeants méprisants qui ne se préoccupent que de leurs propres intérêts.» En 2009, un nouveau directeur général a été placé à la tête de l'entreprise chapeautée par le ministère de l'Agriculture, qui n'a en rien atténué le conflit qui oppose les cadres contestés et les employés qui dénoncent toutes sortes de dépassements. «Ils nous méprisent, et ils nous ont clairement affirmé que l'avenir du parc ne les intéresse pas. Ils vivent une retraite dorée et se contentent de gérer la petite rente du parc sans aucune perspective, hormis quelques projets stériles», fulmine un employé qui a requis l'anonymat par crainte des représailles. Sa peur est justifiée à voir le nombre d'affaires en justice qui oppose les employés du parc à la direction : près de 300 affaires depuis 2007.
Des millions de dinars pour les affaires de justice «Le parc est menacé, rien ne va, en témoigne ce tas d'ordures qui n'est pas censé avoir sa place dans un endroit pareil», martèle, offusqué, Nordine Naab, en montrant du doigt un amas de déchets. Il reprend son calme pour s'expliquer : «Au lieu de s'occuper du parc pour en faire un espace incontournable, capable de faire déborder les caisses de l'Epic, la direction s'échine à fermer les yeux sur tous les problèmes que nous posons et a recours à la justice de façon abusive pour essouffler notre mouvement de contestation.» D'après les différents employés membres du comité de participation du Parc, l'Epic a dépensé plus de 9 millions de dinars depuis 2007 dans les affaires de justice qui l'opposent aux employés contestataires et des concessionnaires. «Une somme faramineuse qui renseigne sur l'état d'esprit des cadres dirigeants qui n'ont comme priorité que de se maintenir en place et qui ne pensent aucunement à développer les activités de l'entreprise», explique Nordine Naab. Le directeur général du Parc, Messaoud Hefair, a longtemps hésité avant de réagir aux différentes accusations dont son équipe faire l'objet, avant de pester contre ses employés contestataires qui le mettent hors de lui : «Je ne comprends pas ces employés, ils sont de mauvaise foi, incompétents et il font du chahut parce qu'ils ne veulent plus de nous à la direction.» Selon le DG du Parc, les différents problèmes qui se posent dans la gestion du Parc sont dus à une seule et unique raison : le manque de moyens. «Nous survivons avec une subvention de 5 milliards par an, nous ne pouvons rien faire de plus que ce que nous faisons déjà avec une pareille somme pour entretenir un parc qui a plus de 30 ans !», assène-t-il. Des enclos du zoo en guise d'habitation D'une allée à une autre de ce vaste parc, une image de désolation en cache toujours d'autres. Outre les saletés qui jonchent le sol, les 5 manèges à l'arrêt, la grande roue dégarnie de ses sièges et les animaux qui résistent mal au passage du temps (deux couples de pythons récemment accueillis dans le zoo sont morts seulement quelques mois après leur arrivée), des problèmes plus tenaces se posent : débauche et squat ! «Les télécabines, à l'arrêt depuis cinq ans, sont devenues l'espace de prédilection des couples, des délinquants en tout genre et personne ne fait rien», précise un autre employé du parc, sans oser rentrer dans les détails. Un autre l'interrompt pour révéler que «même des toilettes ont été transformées en buvettes et, pire encore, des dizaines d'employés vivent dans des enclos du zoo et deux habitations illicites ont été construites dans le côté sud du parc.» Les employés en ont gros sur le cœur. Le DG du Parc aussi. «Les deux maisons construites ne font pas partie du site du parc, un cadastre le certifie ; quant aux employés qui vivent dans des enclos, ils sont 72 a être installés depuis 12 ans, ils bénéficieront bientôt de relogement», précise Messaoud Haifer, en insistant encore une fois sur «le manque de moyens pour gérer autant de problèmes dans un espace aussi grand.» Les employés du parc sont unanimes sur cette question : ce n'est pas une question de moyens, mais de manque de stratégie et d'efforts. «L'entreprise qui gère le parc a un caractère commercial, le parc d'attractions recèle une grande potentialité de rentabilité, mais rien n'y fait, la direction compte sur la subvention de l'Etat pour gérer l'espace, ce qui est totalement absurde», souligne Mustapha Chaabane, en poste au département hôtelier depuis la création du Parc en 1982. Et d'ajouter : «Il y a 4 ans, l'entreprise avait 14 milliards dans ses caisses ; aujourd'hui, les salaires sont versés en retard parce que l'Epic souffre d'un déficit.» Dans les avenues bordées d'arbres, les couples se prélassent et Salima contemple ses enfants aller et venir sans se douter de tout le danger qui menace les lieux. Des rumeurs prédisent même une prochaine fermeture du Parc par la présidence qui souhaiterait en faire une résidence d'Etat. Les employés se disent «déprimés» et «révoltés» par la dégradation des lieux. Le DG du Parc soutient de son côté que «des actions d'éclairage sont sur le point d'être réalisées en attendant que le ministère accorde un crédit d'investissement à l'entreprise» en guise de réponse. Un dialogue de sourds. En attendant, les Algérois qui ont besoin plus que jamais d'espaces de loisirs devront faire comme Salima : se contenter de peu sans se tarabuster l'esprit avec les images attrayantes qu'aurait pu offrir cet espace de détente. Ou alors, mieux, renoncer à l'idée d'un Alger plaisant, ce qu'ils font déjà très bien.