Le mercredi 12 janvier 2011, des dizaines de jeunes sont occupés à piéger la grive dans les épaisses pinèdes d'Ighil Ali, gros village accroché aux monts des Bibans, quand une patrouille de l'armée, secondée par des patriotes de la région, leur ordonne sans ménagement de rentrer chez eux. Les militaires auraient accroché un groupe terroriste dans ce massif densément boisé. N'ayant pas vraiment le choix, les amateurs de grives plient bagage et rentrent à la maison. Seul Mohand Bouza, 48 ans, parti chasser avec son frère, manque à l'appel. Les membres de sa famille se mettent aussitôt à sa recherche. Ils le chercheront toute la nuit puis une bonne partie de la journée du lendemain. En fin de journée du jeudi, ils sont informés par les services de la gendarmerie que le corps de Mohand a été déposé à la morgue d'Akbou. En recoupant les divers renseignements qu'ils arrivent à glaner çà et là, ils arrivent à la conclusion que Mohand a été tué d'une rafale de kalachnikov par une patrouille de l'armée. Pourtant, il ne portait ni barbe ni arme et piégeait les oiseaux à la glue. Dans toute la région d'Ighil Ali, un vaste mouvement de solidarité autour de la famille de la victime se met en place. Un comité citoyen voit rapidement le jour pour épauler la famille ébranlée par le drame. Une grève générale d'une demi-journée ainsi qu'une marche de protestation ayant réuni près de 2000 personnes sont organisées deux jours après l'enterrement pour exiger que la vérité éclate et que justice soit faite. Deux semaines après le drame, une délégation comprenant des membres du comité citoyen et de la famille du défunt est reçue au siège de la wilaya par le wali et le premier responsable militaire de la wilaya. Les autorités reconnaissent qu'il s'agit d'une bavure et des assurances sont données à la famille que Mohand sera considéré officiellement comme une victime du terrorisme. Tant qu'il s'agit d'ouvrir le portefeuille pour indemniser la famille et offrir une pension, les autorités acceptent avec bienveillance. Quant aux exigences de connaître les circonstances exactes du drame ainsi que l'ouverture d'un procès juste et transparent, cela fait office d'une chimère, l'Etat ayant depuis longtemps décidé de ranger les victimes des bavures militaires dans le rayon des dégâts collatéraux de la lutte contre le terrorisme.