Le parc national de véhicules de tourisme est en train d'exploser. Avec plus de 3 millions d'unités, notre pays dispose du deuxième parc à l'échelle africaine, juste après l'Afrique du Sud, il a évolué non seulement en volume, mais a aussi considérablement changé en termes de type de motorisation. Il s'est diésélisé à un rythme tel qu'il a entraîné une perturbation profonde du marché national des produits pétroliers. D'exportateur traditionnel de carburants qu'il était, notre pays est devenu, depuis 2007, importateur de quantités de gasoil sans cesse croissantes. Ainsi, malgré la mise en service de la nouvelle raffinerie de condensat de Skikda, 400 000 tonnes de gasoil ont déjà été importées en 2011 pour un coût de plus de 0,4 milliard US$. Comment, dans ces conditions, expliquer cette diésélisation effrénée ? Répond-elle à une demande réelle des automobilistes du fait de meilleures performances techniques ? Quels en sont les impacts aux plans économique et écologique ? Telles sont les questions que nous traiterons dans cet article. Mais avant d'aller plus loin, voyons d'abord brièvement l'importance de ce phénomène de diésélisation au niveau mondial. Diésélisation dans le monde : Elle touche moins de 20% du parc L'idée assez répandue qui tend à faire accroire que la diésélisation du parc de véhicules de tourisme est un phénomène généralisé est complètement fausse. Seulement, moins de 20% du parc mondial est à motorisation diesel, le reste, soit plus de 80%, est constitué de véhicules à essence. Le parc des Etats-Unis qui représente 25% du parc mondial est entièrement à motorisation essence. Au Japon, en Chine, en Inde et en Corée du Sud, le parc fonctionne également dans sa quasi totalité à l'essence. En fait, le phénomène de diésélisation se limite à l'Europe où il a commencé à prendre de l'importance au début des années 1980. Il relève d'une stratégie industrielle destinée à consolider l'industrie automobile européenne qui constitue un secteur d'activité vital employant plus de 12 millions de personnes avec 3,5 millions d'emplois directs. Cette stratégie industrielle de différenciation/développement du moteur diesel, alors que le reste du monde a adopté le moteur à essence, a été une réussite totale. Elle a permis aux constructeurs européens d'assurer leur suprématie dans cette technologie et d'imposer un quasi monopole sur le marché des véhicules diesel. Diésélisation dans le parc national : Un véhicule neuf sur trois est à motorisation diesel Les statistiques de l'ONS montrent une évolution très rapide de la diésélisation du parc. Le nombre de véhicules diesel est ainsi passé de 160 000 en 2000, à 250 000 en 2005, et a atteint 500 000 en 2009. Cette tendance haussière s'est accentuée après la décision d'interdire l'importation des véhicules de moins de 3 ans prise en 2005. De 2006 à 2009, près d'un véhicule de tourisme sur trois vendu sur le marché national était à moteur diesel. Cette diésélisation ne s'explique pas par les performances techniques de ce type de motorisation qui, bien qu'ayant connu des progrès technologiques indéniables, restent quand même en deçà de celles du moteur à essence. Elle ne s'explique pas non plus d'un point de vue économique ou écologique. Economie : En 2019, importation pour 3 milliards de dollars de gasoil pour le seul parc de véhicules de tourisme Au rythme actuel, le parc de véhicules diesel de tourisme atteindra en 2019 plus de 1,5 million d'unités dont une bonne proportion de grosses cylindrées très énergivores. Sur la base d'une distance annuelle moyenne parcourue de 30 000 km par véhicule et en supposant une consommation de carburant de 7 litres/100km, hypothèse conservatrice vu l'absence de toute réglementation nationale en la matière, ce parc nécessitera l'importation d'environ 3 millions de tonnes de gasoil, soit, au prix actuel du gasoil, plus de 3 milliards US$ par an. La diésélisation se traduit également par un renchérissement de la facture globale d'importation des véhicules d'environ 200 millions de dollars par an du fait des prix plus élevés des véhicules diesel. Enfin, des investissements conséquents seront nécessaires pour l'aménagement de nouvelles infrastructures portuaires et la réalisation de capacités de stockage additionnelles destinées à assurer la réception et le transfert de cet important flux d'importation de produits. Environnement : Le diesel est le plus dangereux pour la santé humaine La pollution automobile résulte principalement des émissions des polluants dits réglementés, telles les particules (suie d'hydrocarbures), les NOX et le CO qui dégradent la qualité de l'air au niveau local et de celles du CO2 qui sont responsables des changements climatiques. S'agissant des polluants réglementés, les véhicules diesel émettent beaucoup plus de particules et de NOX, ce qui les rend indéniablement plus dangereux pour la santé humaine. Quant aux émissions de CO2, le véhicule diesel en émet 10 à 15% en moins que le véhicule à essence. A première vue, il semblerait donc moins polluant. Cette vision, que le lobby du diesel met en avant, est inexacte, voire fallacieuse, car elle ne prend en compte qu'une partie des émissions (celles du véhicule) et ignore les quantités de CO2 émises lors du processus de production du gasoil et de l'essence. Les études tenant compte des émissions du «puits à la roue», menées par plusieurs organismes de renom, montrent que les bilans carbone des motorisations diesel et essence sont similaires. Les résultats de ces études, établies avant 2004, auraient été encore plus défavorables au diesel s'ils avaient comptabilisé les fortes émissions de CO2 dues aux réductions successives de la teneur en soufre du gasoil intervenues depuis 2005. La diésélisation du parc national est le résultat d'une fiscalité favorable Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le cadre fiscal a incontestablement favorisé la diésélisation du parc national. A titre d'exemple, le barème des droits de douanes et de la TVA, déterminant dans la formation des prix des véhicules, prévoit l'application des mêmes taux d'imposition, tant aux véhicules diesel de grosses cylindrées, y compris beaucoup de 4X4, qu'à la plus petite des berlines à essence. La formule de calcul de la puissance fiscale des véhicules, qui conditionne les montants de la vignette et de l'assurance automobile, est, elle, complètement anachronique. Elle classe des véhicules diesel haut de gamme HDI 2 litres dans la catégorie 4 CV, alors que le même modèle en version essence est classé en 8 CV. Même la TVN (taxe sur véhicules neufs), censée différencier entre les deux types de motorisation, est en réalité d'un niveau similaire pour tous les véhicules de cylindrée inférieure ou égale à 2500 cc, soit la quasi totalité du parc ; elle n'est en défaveur du diesel que pour les cylindrées supérieures à 2500 cc (sic). Outre la fiscalité, le prix du gasoil, relativement plus bas que celui des essences, a aussi contribué à la dieselisation. Il n'a pas, pour autant, été un facteur déterminant si l'on en juge par son impact assez faible sur les coûts respectifs de la consommation de carburant des véhicules diesel et essence. Ce n'est en effet qu'au bout d'une période de 6 ans au minimum que le gain de carburant des véhicules diesel, de l'ordre de 23 000 DA par an pour un kilométrage de 30 000 km, permet d'amortir le surcoût à l'achat de ce type de véhicules, plus chers d'environ 150 000 DA que les véhicules à essence. Que faire pour infléchir cette tendance à la diésélisation ? La révision de la fiscalité automobile s'avère incontournable si l'on veut infléchir la tendance actuelle à la diésélisation et instaurer un mix de carburants conforme à la nature de nos ressources d'hydrocarbures qui sont, avant tout, gazières. Il sera notamment nécessaire de modifier les barèmes des droits et taxes, y compris la TVN, dans le sens d'une imposition qui se traduit par un relèvement conséquent des prix des véhicules diesel. Agir sur la fiscalité directe présente aussi l'avantage majeur de ne cibler que le seul segment des véhicules de tourisme alors que l'autre alternative, avancée ici et là, qui consiste à relever le prix du gasoil, ne manquera pas d'avoir un impact sur tout le secteur économique. De plus, cette alternative n'est que peu efficace et n'aura, à moins d'une augmentation excessive du prix du gasoil (plus de 50%), qu'un effet marginal sur le rythme de diésélisation. L'autre moyen radical de ralentir la diésélisation est de promouvoir les véhicules à bicarburation essence - GPLC. Dans ce cadre, en plus des mesures proposées dans ma contribution parue dans El Watan du 25 octobre 2010, je recommande d'autoriser le crédit à la consommation (prêt bancaire) pour les véhicules convertis au GPLC. Cette mesure ne coûtera pas un sou à l'Etat, mais aura, à n'en pas douter, un impact certain. Conclusion La diésélisation du parc de véhicules de tourisme constitue un phénomène minoritaire dans le monde. Dans les pays européens, l'option diésélisation est choisie, elle s'inscrit dans le cadre d'une politique de développement industriel bien pensée. Il en est autrement dans un pays gazier comme le nôtre où la diésélisation subie se situe aux antipodes des intérêts nationaux. Des actions correctives se doivent d'être prises pour enrayer rapidement ce phénomène préjudiciable tant à l'économie et à la sécurité d'approvisionnement du pays qu'à la protection de notre environnement.