L'industrie du raffinage de pétrole fournit près de 40% de l'énergie consommée dans le monde sous la forme de carburants routiers, ferroviaires, maritimes et aériens, de différents combustibles de chauffage industriel et domestique et divers produits à usage non énergétique comme les lubrifiants, les solvants et les bitumes. Cette industrie fournit également certains constituants de base tels le naphta, les aromatiques et autres oléfines qui forment les intrants principaux de l'industrie de la pétrochimie, des plastiques et des peintures. Le raffinage de pétrole a, au même titre que l'industrie du charbon, joué un rôle primordial dans la révolution industrielle à partir des années 1850, date des premiers puits pétroliers forés dans le monde moderne. Il a notamment, par la mise à disposition de carburants adéquats, été à l'origine de l'avènement et du développement de l'aviation et de l'automobile qui ont révolutionné les moyens de transport des personnes et des biens et changé profondément le mode de vie contemporain. Cette industrie, qui a connu un véritable essor jusqu'à présent, se trouve aujourd'hui confrontée à de nouveaux défis et à une conjoncture énergétique internationale marquée par une plus grande prise de conscience des grands enjeux de la protection de l'environnement, de la raréfaction prévisible du pétrole en raison de son caractère non renouvelable et enfin de la question sensible de l'indépendance énergétique des pays consommateurs du fait de la concentration de plus de 75% des réserves pétrolières dans les pays membres de l'OPEP. Dans cet article, nous nous proposons de faire le point sur la situation du raffinage dans le monde et d'en présenter les perspectives d'évolution compte tenu de cette nouvelle conjoncture. Dans une deuxième partie, nous traiterons de la problématique du raffinage national qui se caractérise principalement par son inadéquation avec la structure de la demande du marché intérieur en produits pétroliers. Défis du raffinage : Faire face aux exigences environnementales Près de 60% des produits issus du raffinage de pétrole sont des carburants utilisés dans le domaine des transports dont 80% dans le secteur des transports routiers qui, à lui seul, a consommé environ 2,2 milliards de tonnes équivalent pétrole en 2010. Cette forte dépendance du raffinage par rapport au secteur des transports explique la concordance parfaite entre , d'une part, l'évolution de la capacité globale de raffinage qui est passé de 30 millions de barils par jour de pétrole ( Mbpd ) en 1960 à 90 Mbpd en 2009 et d'autre part, l'accroissement remarquable du parc automobile mondial qui , dans la même période, a augmenté de moins de 100 millions de véhicules pour atteindre près de 1 milliard aujourd'hui. L'utilisation de plus en plus intensive de l'automobile, si elle a amené un progrès social indéniable, a cependant engendré une augmentation sensible de la pollution notamment dans les grands centres urbains où les rejets des gaz d'échappement qui contiennent des contaminants tels les hydrocarbures imbrûlés, les suies (particules) et certains composants cancérigènes posent un grave problème de santé publique. Pour y remédier, des mesures règlementaires ont été prises dans de nombreux pays pour supprimer totalement la présence de plomb dans les essences et réduire la teneur en soufre du gasoil et des essences au taux infinitésimal de 0,001% afin d'assurer le fonctionnement normal des pots catalytiques des véhicules dont l'installation est devenue indispensable pour atténuer la dangerosité des gaz d'échappement. Ces nouvelles exigences de qualité se sont traduites par un investissement substantiel dans l'activité de raffinage des pays qui ont adopté ces mesures et notamment ceux de la CEE, des Eats-Unis et du Japon qui sont les pionniers dans ce domaine. A titre d'exemple, la seule baisse de la teneur en soufre du gasoil a nécessité un investissement d'un montant estimé à plus de 10 milliards d'euros dans l'Europe des 25. D'autres coûts, beaucoup plus conséquents, devront être consentis prochainement pour faire face aux nouvelles normes de qualité des carburants marine, envisagées par l'Organisation maritime internationale (OMI), qui visent à réduire à 0,10% la teneur en soufre dans les zones à émission de soufre contrôlée dites «SECA» (mer baltique, mer du nord …) et d'atteindre en 2020 une teneur maximum de 0,50 % dans les autres zones de navigation. Tous ces changements ont abouti à une reconfiguration totale du schéma de raffinage qui , de la raffinerie simple centrée autour de deux ou trois unités de procédés des années 1970, a évolué pour inclure aujourd'hui une multitude de procédés de traitement tels le cracking catalytique et l'isomérisation dont l'usage a été généralisé dans la production des essences ou encore l'hydrotraitement et l'hydrodésulfuration poussés destinés à réduire la teneur en soufre et autres contaminants des produits raffinés. Les raffineries modernes disposent également d'unités de conversion comme l'hydrocracking dont l'implantation massive a été rendue nécessaire pour permettre le traitement des pétroles bruts actuels qui sont de plus en plus lourds et transformer ce qu'on appelle le fond de baril ( fuel lourd) en distillats moyens afin de répondre à l'évolution de la structure du marché international qui montre une distorsion entre une demande de gasoil de plus en plus élevée et une baisse conséquente de la demande d'essence induite par le phénomène de diésélisation du parc automobile européen. Limitation des émissions de GES : un tournant dans l'évolution de l'activité de raffinage Jusqu'à présent, l'industrie du raffinage a su préserver sa position de monopole dans la fourniture de carburants au secteur des transports (98% de ces carburants sont issus du pétrole) en apportant les changements nécessaires qui ont permis une réduction drastique du niveau des émissions des polluants réglementés que sont le monoxyde de carbone (C0), les oxydes d'azote (NOX), les hydrocarbures imbrulés et les particules. Cependant, la limitation des émissions des Gaz à Effets de Serre (GES) et notamment de celle du CO2 qui est un des principaux responsables des changements climatiques mettra inéluctablement fin à ce monopole, car le CO2 est un produit naturel et incontournable de la combustion de tous les carburants d'origine pétrolière quel que soit leur degré de raffinage et de pureté. Bien que la focalisation sur les carburants du secteur des transports ne soit pas complètement justifiée puisque, selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), ce secteur ne représente que 13% des émissions totales de GES (voir figure 1), il n'en demeure pas moins que des carburants alternatifs, essentiellement les biocarburants et l'électricité à usage automobile, commencent déjà à être utilisés et ne manqueront pas d'occuper, dans le futur, une place de plus en plus importante si l'on en juge par les nombreuses mesures réglementaires et fiscales prises au niveau international pour les promouvoir. Ainsi, dans un de ses scénarii qui se fondent sur la limitation des émissions de GES de sorte à maintenir la concentration de l'atmosphère au niveau actuel de 450ppm de CO2 équivalent, l'Agence internationale de l'énergie prévoit une croissance nulle de la consommation des carburants issus du pétrole d'ici à 2035 ; dans ce scénario toute la demande additionnelle de carburant serait satisfaite à partir des biocarburants, de l'électricité et du gaz ( GPL, gaz naturel et Gas To Liquid ou GTL). Ce scénario, qui semble quelque peu volontariste, renseigne néanmoins sur l'ampleur de l'impact de cette question des changements climatiques sur l'évolution future de l'industrie du raffinage. L'autre facteur déterminant dans le développement de cette industrie réside dans le faible taux prévisionnel de la croissance de la demande mondiale des produits pétroliers que les institutions internationales s'accordent à estimer à moins de 1% par an entre 2011 et 2035. En conséquence, les capacités de raffinage des pays de l'OCDE ne connaîtront certainement pas d'augmentation en dehors d'éventuels projets de renouvellement et / ou d'adjonction d'unités de conversion destinées à répondre au déséquilibre de la demande gasoil/essence. Bien au contraire, le phénomène de fermeture des raffineries amorcé ces dernières années, fermeture en 2009 de la raffinerie de Dunkerque en France, de Teeside en Grande-Bretagne et de Eagle point aux USA pour n'en citer que quelques unes, s'amplifiera dans le futur en raison de la stagnation de la demande dans ces régions et surtout de l'existence d'un important excédent structurel d'essence en Europe ( 30 millions de tonnes en 2009) que le marché international, déjà saturé, ne peut absorber (voir figure 2). La réalisation de nouvelles raffineries sera donc probablement limitée à l'Asie, Chine et Inde principalement, et, à un degré moindre, au Moyen-Orient qui sont les seules zones à présenter une progression notable de la demande, à l'exemple de la Chine, dont l'accroissement de la demande, de 2010 à 2035 comptera pour environ 50% de l'augmentation totale de la demande mondiale. Cette situation accentuera le processus de délocalisation du raffinage, de l'Europe vers l'Asie, observé depuis 1980 date à partir de laquelle le raffinage européen, qui représentait 40% du raffinage mondial, a continuellement régressé pour passer à moins de 25% en 2009 et, dans le même temps, la progression de la part du raffinage de l'Asie de 15% en 1980 à 30% aujourd'hui (voir figure 3). Ces perspectives plutôt moroses de l'activité de raffinage s'expliquent aussi par le niveau des marges financières qui ont été historiquement faibles (1 - 5 US$/Bbl) et, parfois même, insuffisantes pour assurer la rentabilité économique de cette activité que les pétroliers ont dû, comme à la fin des années 1990, «subventionner» par les gains autrement plus importants engrangés dans l'amont pétrolier. Elles sont également dues à la réticence des investisseurs à s'engager dans la construction de raffineries fortement capitalistiques dont l'approvisionnement en matière première ne peut être garanti sur tout leur cycle de vie (plus de 50 ans en général) du fait de la limitation des réserves pétrolières mondiales estimées à 45 ans environ. Le raffinage national : une nécessaire adaptation à la structure de la demande du marché intérieur L'outil national de raffinage comprend 6 raffineries d'une capacité globale de traitement annuel de l'ordre de 22 millions de tonnes de pétrole brut et de 5 millions de tonnes de condensat. Il se place au 2e rang en Afrique et représente 17% de la capacité globale de raffinage à l'échelle continentale qui est d'environ 170 millions de tonnes /an. Le programme de réhabilitation des raffineries en cours, qui portera la capacité totale à environ 27 millions de tonnes de pétrole par an, permettra de répondre à la demande nationale de tous les carburants à l'exception de celle gasoil qui présentera un déficit de l'ordre de 5 millions de Tonnes/an en 2020. Important en termes de capacité de traitement, le raffinage national n'arrive donc pas à satisfaire la demande du marché intérieur qui ne représente pourtant qu'un peu plus de 50% de cette capacité (12 millions tonnes en 2010). Ceci montre clairement l'inadéquation du schéma de raffinage qui produit de larges quantités de fuel oil, non consommé localement, au détriment du gasoil dont la demande, en très forte croissance, n'est satisfaite depuis 2007 que par le recours à l'importation. En 2010, par exemple, il y a eu une importation de 380.000 tonnes de gasoil à un coût très élevé et, en même temps, une exportation d'environ 5 millions de tonnes de fuel à un prix unitaire autrement plus bas. La résorption de ce déséquilibre de la structure offre/demande du gasoil ne peut être assurée sans l'adaptation du schéma actuel de raffinage et, à notre avis, l'installation d'une unité de conversion de type hydrocracking qui permettrait de transformer le fuel en gasoil. La réalisation d'une telle unité semble en effet des plus opportune, non seulement pour combler le déficit de l'offre en gasoil, mais aussi pour améliorer la rentabilité du raffinage par la revalorisation du fond de baril dont le prix ne cesse de se déprécier et éviter les contraintes commerciales liées à l'exportation de grandes quantités de fuel sur un marché international de plus en plus restreint. En ce qui concerne la qualité des produits, le raffinage national a permis, dès 1998, la mise sur le marché intérieur de quantités assez conséquentes d'essence sans plomb conformes aux normes internationales, normes qui ne seront néanmoins généralisées à l'intégralité de la production des essences qu'après la fin des travaux de réhabilitation en cours. S'agissant du gasoil , il nous semble avisé d'adopter la même démarche que pour les essences à savoir commercialiser deux qualités de gasoil, dont l'une à basse teneur en soufre conforme aux normes internationales afin de répondre à la demande spécifique des usagers utilisant des véhicules qui fonctionnent avec ce type de carburant (véhicules d'origine européenne importés à titre personnel, véhicules de touristes en transit …) et aussi pour permettre aux concessionnaires locaux de mettre à la disposition des consommateurs des véhicules de technologie récente qui requièrent du gasoil basse teneur en soufre. Réalisation d'une nouvelle raffinerie : est-ce envisageable dans le contexte pétrolier national? Les réserves nationales de pétrole sont estimées, selon les données publiées par des sources spécialisées, à environ 18 ans dans le cas du maintien du rythme actuel d'exploitation des champs pétroliers. Même en supposant une réevaluation de 50% de ces réserves, elles demeureraient insuffisantes pour pouvoir garantir l'approvisionnement des raffineries existantes sur tout leur cycle de vie qui, après la réhabilitation en cours, devrait atteindre au moins 25-30 ans. Ce constat, qui soulève d'ailleurs la question de la pérennité de l'approvisionnement des raffineries actuelles, rend difficilement envisageable la réalisation d'une nouvelle raffinerie qui traiterait du pétrole local. La résorption du déficit de l'offre de gasoil appelle, dans ces conditions, la mise en œuvre d'autres actions parmi lesquelles on peut citer : - La mise en place d'un dispositif réglementaire incitatif assurant la généralisation de l'utilisation du GPL carburant pour le parc des véhicules particuliers dont la tendance actuelle à la diésélisation aggrave fortement le déséquilibre offre/demande. Au rythme actuel de diésélisation du parc, la demande supplémentaire de gasoil avoisinerait 2,5 à 3 millions de tonnes /an en 2020 ; - La réalisation, dans l'une des raffineries existantes, d'une unité de conversion de fuel qui demeure la voie optimale pour la production de quantités substantielles de gasoil ; - Diverses actions spécifiques tel, par exemple, l'arrêt de la construction de nouvelles centrales électriques diesel et la conversion des centrales existantes au fuel oil ou, encore mieux, au solaire. Ces mesures, associées à un plan de rationalisation de la consommation visant une meilleure efficacité énergétique devraient permettre la satisfaction de la demande de carburants du marché intérieur à l'horizon 2020-2025. Au-delà, le raffinage national, comme le raffinage mondial, ne pourra bien évidemment pas répondre à la totalité de la demande et d'autres carburants de substitution ne manqueront pas de prendre leur part de marché. Le GPLC et le GNC devraient constituer les carburants naturels de substitution aux carburants conventionnels; à plus long terme, l'électricité à usage automobile serait également un carburant bien adapté à notre marché dès lors qu'elle est produite à partir d'énergies renouvelables et notamment du solaire que les autorités nationales ont décidé de privilégier. Conclusion Le raffinage mondial a connu jusqu'à présent une évolution remarquable, tant dans les modes et procédés de fabrication qu'au niveau des capacités de production, qui lui a permis de s'adapter à la structure de la demande du marché tout en faisant face à des exigences environnementales de plus en plus contraignantes. La question de la sécurité et de l'indépendance énergétique liée à la limitation des réserves mondiales du pétrole et les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique que la communauté internationale associe étroitement aux émissions des carburants issus du pétrole constituent des facteurs structurels déterminants qui n'augurent pas de très bonnes perspectives de développement pour l'industrie du raffinage. La position de monopole qu'occupe aujourd'hui cette industrie dans la fourniture de carburant au secteur des transports s'érodera progressivement pour laisser place à l'émergence de carburants alternatifs telle l'électricité à usage automobile que certains cercles n'hésitent déjà pas à qualifier de carburant de référence du futur. Les biocarburants et notamment ceux dits de seconde génération obtenus à partir de déchets végétaux non comestibles, comme les tiges de blé, représentent également des carburants de substitution potentiels. Dans notre pays, le raffinage qui traite presque 50% de la production totale de pétrole et fournit le tiers de la consommation nationale d'énergie finale constitue un segment d'activité important de l'industrie des hydrocarbures. Le schéma de raffinage actuel devra nécessairement être reconfiguré pour s'adapter à la structure de la demande et permettre l'alignement progressif de la qualité des carburants sur les normes internationales. A long terme, à l'instar de l'évolution internationale, la gamme des carburants commercialisés sur le marché national s'élargira pour s'enrichir de nouveaux carburants alternatifs dont le choix sera fortement dépendant de la politique réglementaire et fiscale qui sera mise en place.
Salah Azzoug. Ingénieur en raffinage et pétrochimie. [email protected]