Rached Ghannouchi a averti, mercredi, que son parti n'acceptera pas les résultats s'il s'avère qu'il y a manipulation l Les acteurs politiques ont condamné les propos de Ghannouchi, considérés par les uns et les autres comme source de fitna, ou encore une manière insidieuse d'influer sur les électeurs. Tunis De notre envoyé spécial Quel sens donner aux menaces, à peine voilées, prononcée par le leader d'Ennahda à la veille du rendez-vous électoral ? Rached Ghannouchi a averti, mercredi, que son parti n'acceptera pas les résultats s'il s'avère qu'il y a manipulation. Ces déclarations ont soulevé un tollé dans la classe politique à Tunis et forcé Beji Caïd Essebsi à faire une mise au point claire lors de son discours prononcé jeudi soir devant les membres de son gouvernement. Caïd Essebsi a souligné énergiquement que douter de l'indépendance et la probité de l'instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) et de son président, Kamel Djendoubi, n'est pas permis, rappelant que l'administration n'a aucun lien avec l'organisation des élections, si ce n'est fournir la couverture sécuritaire. Les autres acteurs politiques ont condamné les propos de Ghannouchi, considérés par les uns et les autres comme source de fitna, ou encore une manière insidieuse d'influer sur les électeurs. Le président du Parti tunisien du travail (PTT) va jusqu'à exiger de Ghannouchi de demander pardon auprès des Tunisiens pour ses déclarations, jugées «irresponsables et dangereuses pour un chef de parti qui menace de soulever la rue tunisienne au lieu de l'encadrer». Si nous perdons, les élections seraient truquées. Voici en substance ce qu'a dit Ghannouchi. Mais derrière l'arrogance et la vanité, beaucoup voient peur et inquiétude chez Ennahda. Pour l'avocat et secrétaire général de la Ligue tunisienne de citoyenneté, Fakher Gafsi, ces déclarations tombent à pic en produisant l'effet contraire visé peut-être par Ennahda auprès de l'opinion publique. Selon lui, les mots de Ghannouchi expriment en outre une anticipation sur la défaite désormais possible. En effet, l'assurance démesurée affichée durant l'été a cédé au doute au sein du mouvement islamiste en quelques mois, et ce, pour diverses raisons. Neji Khachnaoui, éditorialiste à l'hebdomadaire Saw Ech Chaâb (la voix du peuple), organe central de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), explique qu'Ennahda a revu à la baisse ses ambitions électorales de 30 à 20% en quelques mois et le discours de jeudi exprime la peur de perdre. Avis partagé par Yousra Fraws, avocate et militante de gauche, qui ajoute que les Tunisiens ont beaucoup appris sur Ennahda en quelques mois à travers ses positions sur des questions auxquelles tiennent beaucoup les Tunisiens, notamment celles qui touchent à leur mode de vie. Les actes de violence commis par les salafistes ont joué aussi contre Ennahda en participant à créer une distance entre les Tunisiens et la mouvance islamiste, affirment encore nos deux interlocuteurs. Khachnaoui en veut aussi pour preuve la chute des ventes du quotidien Al Fadjr, lié à Ennahda, lui qui trônait en tête des ventes il y a à peine quelques mois. Jusqu'au 24 juillet (première date fixée pour ces élections), Ennahda était donné favori pour ces élections et lui-même ne ratait pas l'occasion pour afficher ostensiblement son assurance de remporter haut la main les élections. Mais le report du rendez-vous, auquel Ennahda était opposé, a joué en sa défaveur en offrant aux Tunisiens un temps court mais précieux pour mieux connaître le fond et les véritables intentions du parti islamiste. Les principales formations démocratiques ont joué aussi un rôle dans la sensibilisation de l'opinion publique sur le double discours d'Ennahda, notamment à travers les médias et le travail de proximité.Mais cette appréhension est-elle une simple vue de l'esprit de la part d'intellectuels coupés de la réalité sociale, surtout dans la Tunisie profonde et celle des banlieues défavorisées ? Wafa Fraws, militante de la LTDH, activant dans la zone de Douar El Hichar, affirme que dans cette banlieue pauvre, Ennahda n'a pas d'ancrage, contrairement aux apparences. Pour elle, le mouvement de Ghannouchi a su investir dans des quartiers populaires, mais son influence n'est pas absolue et se limite à un nombre de zones. L'universitaire, Mehdi Abdeljawed, ne mise pas beaucoup lui non plus sur ce parti. Pour lui, «le handicap d'Ennahda réside dans sa méconnaissance de la société tunisienne et la sous-estimation de la classe politique qui a milité des décennies durant contre la dictature». Abdeljawed ajoute que «la tentative d'Ennahda d'adapter son discours n'a pas réussi avec les jeunes surtout, qui jugent sur pièce et ont connaissance des expériences islamistes malheureuses en Algérie, en Egypte et même en Libye actuellement». Par ailleurs, Ennahda ferait l'objet de conflits internes, ajoute ce dernier, entre deux ou trois tendances qui s'opposent, d'où le report de son congrès à plusieurs reprises. En dépit de ces avis qui relativisent le poids d'Ennahda, le pronostic reste difficile en l'absence de sondages crédibles et surtout face à l'inconnue que représente l'électeur tunisien moyen.