Après 22 ans d'exil, Rachid Ghannouchi, 69 ans, chef de file du mouvement Ennahda, a regagné hier la Tunisie. Son retour est l'un des signes les plus forts du changement survenu dans le pays depuis le renversement le 14 janvier de Ben Ali au terme d'un mois de contestation sociale et politique dans la rue. M. Ghannouchi est considéré comme un intellectuel modéré. Son organisation, fondée en 1981, est aussi perçue comme moins conservatrice que les Frères musulmans égyptiens. «Notre rôle sera de participer à la réalisation des objectifs de cette révolution pacifique : ancrer un système démocratique, la justice sociale et limiter les discriminations contre les organisations interdites», a-t-il déclaré à Reuters à la veille de son retour. «Le dictateur est tombé et je souhaite être dans le pays», a-t-il ajouté. Ennahda est une organisation qui était la principale force d'opposition en Tunisie. Aux élections de 1989, deux ans après la prise de pouvoir de Ben Ali, elle avait en effet obtenu officiellement 17% des voix, mais son score réel était sans doute plus proche de 30 ou 35%, selon des observateurs. La répression qui s'est alors abattue sur elle a contraint son chef à un exil londonien en 1989. La présence de milliers de personnes hier à l'aéroport de Tunis-Carthage constitue une démonstration de force sans précédent en faveur d'Ennahda depuis deux décennies. «Non à l'extrémisme, oui à l'islam modéré», pouvait-on lire sur une des banderoles déployées par les partisans de cheikh Ghannouchi. Le retour de Rachid Ghannouchi galvaniserait-il les islamistes ? Des analystes estiment que la mouvance islamiste est à même de devenir une force politique de première importance dans la Tunisie de l'après-Ben Ali. Retour au calme Le calme est globalement revenu dans le pays depuis l'exclusion, jeudi, du gouvernement des anciens caciques du régime. Les forces de sécurité tentent de rétablir l'ordre dans la capitale où des commerçants se sont opposés à des manifestants pour réclamer un apaisement de la situation. Le gouvernement intérimaire de Mohamed Ghannouchi – sans lien de parenté avec le chef de file d'Ennahda – n'a toujours pas annoncé la date des élections promises. Des responsables d'Ennahda ont dit que leur parti participerait aux élections législatives mais qu'il ne devrait pas présenter de candidat à la présidentielle. Et Rachid Ghannouchi a lui-même affirmé qu'il ne désirait concourir à aucun mandat électif. Sur le plan diplomatique, il faut signaler l'arrivée d'un nouvel ambassadeur français. C'est mercredi dernier que la France, sévèrement critiquée pour avoir tardé à condamner la répression des manifestations, a relevé de ses fonctions Pierre Ménat. Son remplaçant n'est autre que Boris Boillon, un ancien conseiller du président Nicolas Sarkozy qui était ambassadeur en Irak depuis mai 2009.