La presse traditionnelle a-t-elle un avenir ? La question semble déplacée, pourtant dans plusieurs pays avancés, un grand danger menace la presse traditionnelle et particulièrement les journaux papier. Bruxelles. De notre envoyé spécial En réalité, le problème a commencé à se poser depuis quelques années avec le développement du Web et l'apparition de nouveaux moyens de communication. Selon Francis Gurry, directeur général de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI, une agence de l'ONU), qui s'exprimait au début du mois d'octobre dans une interview au quotidien La Tribune de Genève, «dans quelques années, il n'y aura plus de journaux imprimés tels qu'on les connaît aujourd'hui. C'est une évolution, ce n'est ni bien ni mal, il y a des études qui annoncent leur disparition pour 2040, aux Etats-Unis, ce serait pour 2017».Ce point de vue est un indicateur des transformations que connaît la presse dans le monde entier. La crise économique de 2008-2009 a déjà mis à mal la presse dans toute sa diversité. En plus de l'influence du Web, le recul des recettes publicitaires a amené la disparition de plusieurs journaux. La baisse des recettes publicitaires influe aussi sur les moyens de travail comme le financement des correspondants, des bureaux ou des reportages. Mais si dans les pays développés, les médias du Web sont considérés comme de grands concurrents, au Sud, ces nouveaux médias et les journalistes citoyens à travers les blogs ont accompagné les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Egypte, et l'avenir de ces nouveaux moyens de communication est déjà un sujet d'actualité. En introduisant le thème de l'avenir du journalisme et des menaces qui peuvent apparaître contre les réseaux sociaux y compris dans les pays avancés, la modératrice de la conférence, Samira Ahmed, n'a pas manqué de citer comme exemple le cas des hommes politiques en Grande-Bretagne, qui ont demandé d'arrêter ces réseaux après les émeutes du mois d'août dernier. Mais l'avenir du journalisme reste tributaire de la manière de faire vivre la presse indépendante et aux solutions qui permettent la monétisation des réseaux sociaux. Les panels organisés ont permis de cerner les grandes questions de l'heure et quelques réflexions méritent d'être débattues encore. Le nombre important des exposés ne permettent pas d'en rendre compte dans un article de presse, mais quelques-unes, soumises aux participants, constituent déjà une plateforme pour des débats qui ne font que commencer. Ainsi, pour Richard Sambrook, un ancien de la BBC où il y a exercé durant 30 ans, «le système dans le journalisme mis en place, il y a 100 ans, a été balayé». Les raisons sont les mutations d'ordre économique, technologique et culturel. La presse, qui était subventionnée, est dominée par l'actionnariat, et la pression des actionnaires pousse à la réduction des coûts. Sur un autre plan, les revenus publicitaires se sont érodés et c'est l'Internet qui en bénéficie le plus actuellement. Les quotidiens ont en souffert et la qualité s'en trouve modifiée. Pour Richard Sambrook, l'ancien modèle économique a disparu et le nouveau se met en place. Il y a moins de ressources et une multiplication de chaînes TV, radios. Le journalisme citoyen est un nouveau phénomène. Avant, il y avait AP et Reuters, alors que maintenant Twitter, Youtube... se transforment en agences de presse. Les réseaux sociaux sont un autre canal où le journalisme est exercé, selon Sambrook. Robert G. Picard, directeur de recherche au département de l'Institut de Reuters pour la politique et les relations internationales, estime qu'il faut maintenir les organes de presse traditionnels pour une diversité culturelle à travers un modèle économique qui soutient les médias. La domination des médias par les bourses ou les empires empêche la concurrence. Robert Picard estime que le soutien public doit se déplacer des médias traditionnels vers les nouveaux médias. Ivan Nikoltchev, qui est le chef de la section des médias à la direction générale des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, estime que ce qui est le plus important est la liberté d'expression. En deuxième lieu, il considère que la deuxième question qui se pose à nous est : «Comment veiller à l'existence du journalisme et garantir la liberté d'expression, car nous n'avons pas besoin de réinventer ces valeurs avec la naissance de nouveaux médias.» En fait, le grand défi qui se pose au journalisme, c'est la confiance du lecteur face à la concurrence des nouveaux médias. Sur un autre plan, la presse traditionnelle doit se démarquer par un journalisme de qualité si elle veut garder sa place. Et il faudra peut-être revenir au journalisme du «fait» pour reprendre l'expression d'un expert. En clair, les professionnels doivent revenir aux fondamentaux y compris en utilisant les nouvelles technologies comme les médias sociaux. L'exemple est cité par Mark Johnson, rédacteur en chef à The Economist qui utilise les médias sociaux pour communiquer avec ses lecteurs Richard Sambrook a estimé que «c'est la compétence qui fera la différence entre la presse traditionnelle et les nouveaux médias, car il s'agit de sauver la profession». Si les médias sociaux aident, néanmoins ils n'apportent pas le changement, car ce sont les citoyens qui, par leur action, apportent le changement démocratique. C'est le constat qui a été fait par Jack Shenker, le correspondant en Egypte pour le Guardian. En Egypte, dans certains cas, la vérité a été donnée par les médias sociaux pas par la presse traditionnelle par exemple. En fait, malgré leur apport qui explique l'acharnement des dictateurs, les médias sociaux ne permettent pas de construire des institutionnels démocratiques. Dans plusieurs pays, ils ont aidé à détruire les barrières de la peur. En Palestine, le gouvernement israélien exerce la censure sur les réseaux sociaux, et les Palestiniens ont un accès limité à Facebook et à Twitter. Le débat très animé a été centré sur les pressions qui existent dans de nombreux pays pour voter des lois sur la presse et contrôler le travail des journalistes et l'Internet. Dans certains pays de l'Est, des journalistes ont évoqué le développement de la corruption qui est entretenue par les hommes d'affaires et les clans dans les luttes d'intérêt qui les opposent. Un journaliste a évoqué le développement de l'autocensure qui fait que les journalistes évitent de critiquer des hommes politiques.