Pourquoi l'Algérie est-elle gérée de cette manière ?» Question récurrente dans les cercles intellectuels. Elle est parfois plus présente dans les milieux populaires. Mostafa Hemissi, journaliste, écrivain et consultant médiatique, établi actuellement au Koweït, tente dans De Barberousse à Bouteflika, comment l'Algérie est-elle gouvernée ? (Min Barberousse ila Bouteflika, kayfa touhkamou El Djazaïr ?), paru aux éditions Dar Houma à Alger, de remonter dans le temps pour «explorer» le secret de la faillite durable de la gouvernance en Algérie. Il s'interroge si la construction de l'Etat algérien est «le produit» d'une évolution historique objective ou le choix d'une certaine élite. «La forme de l'Etat algérien aurait-elle pu être différente ?» s'est-il interrogé dans un essai soigneusement élaboré de 742 pages. Il relève que les révoltes arabes, toujours en cours, ont montré que les régimes post-coloniaux se ressemblent en plusieurs points. Selon lui, la structure de l'Etat algérien est passée du «rêve», au «projet» à «l'appareil». «Je pense que le rêve des Algériens d'avoir un Etat indépendant a commencé au sein de l'Etoile nord-africaine menée par le leader historique Messali El Hadj», a-t-il souligné évoquant, dans la foulée, le combat de l'émir Khaled pour construire une conscience nationale. Des efforts contrés, selon lui, par des élites algériennes façonnées par le colonialisme français. «Un colonialisme qui a pratiqué le génocide culturel systématique», note-t-il. L'auteur a analysé ensuite les difficultés de la formation d'une élite algérienne et a relevé que la privation du savoir et de la liberté de circuler pratiquée par les occupants a eu des effets négatifs sur l'élaboration de l'idée révolutionnaire et nationaliste. L'Etat-projet débute, d'après Mostafa Hemissi, avec la Déclaration du 1er Novembre 1954 appelant à l'action armée contre le colonialisme français. Un document perçu comme l'aboutissement d'un mouvement de luttes politiques datant du début du XXe siècle. Le socialisme et le centralisme démocratique étaient les idées dominantes. «Aucun document de base du mouvement national qui appelait à l'indépendance du pays ne s'est référé à un Etat antérieur qu'il voulait reconstruire, sauf l'évocation de l'Etat des deys (ottomans, ndlr), vu comme une preuve de l'existence de l'Etat algérien avant l'occupation», a-t-il souligné. Il a rappelé que la Déclaration du 1er Novembre évoquait «la construction de l'Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques». Il n'a pas manqué aussi de noter que le Congrès de la Soummam, le premier du FLN, retenait que l'un des objectifs de lutte armée était «la renaissance de l'Etat algérien sous la forme d'une République démocratique et sociale et non pas la résurrection de la vie monarchique ou l'établissement de l'Etat théocratique». Mostafa Hemissi a évoqué aussi que les décisions du Congrès de la Soummam ont été «amendées» surtout sur les questions relatives à la primauté du politique sur le militaire, de l'intérieur sur l'extérieur et sur la composition de la direction de la Révolution (un détournement qui allait alimenter des crises politiques futures). L'Etat post-colonial est, selon lui, marqué par une certaine dépendance administrative, législative, organique à l'ancien occupant. «Il est impossible de croire qu'un grand nombre de fonctionnaires algériens, qui étaient au service de l'administration coloniale, pouvaient avoir une vision conforme à celle de la Révolution», a-t-il relevé. Il a observé qu'aucune statistique n'a été faite sur le nombre d'Algériens restés à leurs postes après l'indépendance de l'Algérie en 1962 ni sur ceux qui avaient été remplacés. Le FLN n'a, d'après l'auteur, pas été capable de démanteler «la structure» laissée par le colonialisme français. «Le néo-colonialisme avait une stratégie intégrée, dotée d'institutions, d'appareils et d'instruments», a-t-il appuyé. Il a remarqué que l'administration coloniale avait tous les moyens de suivre l'évolution des institutions, y compris sécuritaires, du nouvel Etat algérien. Il y a, enfin, l'Etat des appareils. Pour Mostafa Hemissi, il s'agit d'un Etat-pouvoir qui a utilisé des appareils pour maintenir la société sous son autorité. Un Etat qui a actionné tous les leviers de la bureaucratie sécuritaire et administrative pour s'imposer. Le régime du colonel Houari Boumediène, arrivé au pouvoir après un coup d'Etat militaire, était le parfait exemple de ce type d'Etat, d'essence autoritaire et antidémocratique. Depuis, l'Etat algérien a connu des crises successives marquées, entre autres, par la mort d'un président, l'assassinat d'un autre, la démission d'un troisième. Marquées aussi par le deuxième coup d'Etat, masqué en retrait volontaire, contre le colonel Chadli Bendjedid… Mostafa Hemissi arrive à cette conclusion : «Il faut achever l'indépendance du pays… revenir à l'esprit du mouvement national.»