La France est devenue une nation inquiétante. A trop vouloir faire la chose et son contraire, ce pays risque de rejoindre la trajectoire instable, imputable d'habitude à des Etats du Sud. En évoquant, jeudi, le recours à des « ripostes non conventionnelles » contre les pays qui menaceraient les intérêts de la France, le président Jacques Chirac vient d'ouvrir la voie à une nouvelle escalade dans la désormais course au nucléaire. Cette doctrine, qui peut être schématisée par la réponse du « fort au fou », n'est pas loin de celle américaine, dite de « révision de la posture nucléaire ». Si les Américains n'identifient pas la menace, les Français semblent cibler des pays qui peuvent porter atteinte à leurs intérêts, à ceux de leurs « amis » et qui peuvent mettre en péril la sécurité énergétique. En langage simple : la France, qui possède 59 réacteurs nucléaires et presque 300 têtes nucléaires, se réserve le droit d'user de l'arme atomique pour neutraliser un pays ennemi, avec ses habitants s'il le faut. Le langage guerrier de Chirac, qui surprend la communauté internationale, déjà tiraillée sur le dossier iranien, ne précise pas la nature de ces virtuels « Etats terroristes ». « Les Etats voyous », qui, selon la théorie des néoconservateurs en poste à Washington, menacent les Etats-Unis, sont-ils les mêmes que ceux qui font craindre le pire à Paris ? Il est vrai que les Etats-Unis et la France sont liés par les impératifs de la défense commune consacrée par le Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Ce n'est pas étonnant qu'au siège bruxellois de l'Alliance, on n'est pas « alarmé » par les propos du dirigeant français et on évoque, presque avec nonchalance, « le rôle politique » des armes nucléaires. En l'état actuel des événements, on peut supposer que l'Iran soit concerné par les déclarations de Chirac puisque même le chef d'état-major, le général Henri Bentégeat, qui s'exprime rarement en public, a considéré ce pays comme « une inquiétude majeure » pour la France. Le général Bentégeat parle presque le même langage que les chefs militaires américains, car il évoque également la Corée du Nord. Ces propos sont-ils productifs ? La réponse est évidente : non ! D'abord, les positions de l'Iran vont se radicaliser. Sans bouclier qui peut ressembler à l'OTAN, Téhéran trouvera « légitime » de se doter de moyens de sa défense au nom, au moins, du principe de « dent pour dent », toutes proportions gardées. Même sentiment en Corée du Nord et dans d'autres pays à potentiel nucléaire, mais qui sont moins apparents ou moins cités pour l'instant. Ensuite, les propos de Chirac semblent avoir condamné à l'avance les solutions par voie pacifique à ce qui apparaît comme un problème à la sécurité d'une partie de la planète. De quoi a peur la France ? Et pour quoi cette insistance sur l'insécurité, idée chère au « surmédiatisé » ministre de l'Intérieur ? Nicholas Sarkozy a déclaré dernièrement que « la France a besoin de comprendre que le vaste monde change, bouge (...). Elle ne peut demeurer immobile ». La principale crainte, depuis jeudi, est que cette France adopte le mouvement d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.