Avec un poids électoral de 40% de la population et un poste de Premier ministre dans le premier gouvernement, le parti islamiste tunisien Ennahda entre par la grande porte dans ce qui pourrait s'appeler «le Maghreb islamiste» dans lequel s'est déjà engouffré le nouveau régime libyen, qui a annoncé son intention d'appliquer la charia dans le pays. Les islamistes marocains, eux, piaffent d'impatience de les rejoindre ; ils s'y attellent en tout cas, guettant pour bondir les faux pas du palais royal. Une de leurs caractéristiques, dans ces pays-là, notamment en Tunisie et en Libye, est qu'ils sont nés – ou portés – par les révoltes de leur population contre leurs oppresseurs. Une autre est qu'ils ont tiré la leçon de «l'aventure algérienne» en n'exigeant pas, du moins à ce stade, la destruction de l'Etat en place et la soumission totale de la société à leur ordre. Ce qui les rassemble semble être l'expérience turque qui allie avec plus ou moins de bonheur processus démocratique et spécificité religieuse, une expérience d'autant plus intéressante à leurs yeux qu'elle bénéficie de la caution occidentale. Ressembler à Erdogan, tourner le dos à Abassi Madani et, bien sûr, gommer Ben Laden, c'est ce qui paraît animer les nouveaux chefs islamistes de Tunis, Rabat, Tripoli et aussi du Caire, où les Frères musulmans, galvanisés par la révolte de la place Tahrir, partent à l'assaut des centres de décision. A la grande différence de leurs «frères» maghrébins et proche-orientaux, les islamistes algériens ne sont soutenus ou revendiqués par aucune révolte populaire. Celle-ci n'a pas eu lieu et si elle apparaît, elle ne leur accorderait nullement le crédit qu'ils ont eu fin des années 1980-début 1990. Les islamistes algériens traînent derrière eux l'horrible casserole de la barbarie perpétrée durant la décennie noire. Ils ont prouvé leur incapacité à faire de la politique, voire même gérer la chose publique (épisode désastreux des DEC). Happés par l'affairisme, ils n'ont hésité devant aucune compromission avec les pouvoirs en place. Par une batterie de textes, ce dernier a neutralisé les plus revanchards. L'islamisme algérien n'a plus ni chef(s) crédible(s), ni doctrine, ni troupes. Il a brûlé tous ses vaisseaux et c'est une chance pour l'Algérie qui, à la différence de la Tunisie, de la Libye, du Maroc, de l'Egypte et d'autres pays arabes, pourra se reconstruire sans lui. Ce sera un heureux retournement de l'histoire, à condition que les autres courants idéologiques, au pouvoir ou pas, tirent toutes les leçons de ce qui s'est passé dans le pays. Comme l'a fait le FLN en 1991, ils ne doivent plus jouer le destin de la nation au poker. La seule voie qui s'impose aujourd'hui est la démocratie dans ce qu'elle a d'essentiel : libertés publiques et individuelles, tolérance politique et culturelle, droits de la femme.