Revenant sur son engagement contre les violences faites aux femmes et aux enfants, Rekia Nacer, neurologue, 58 ans, nous confie : «J'ai eu la chance de m'épanouir dans une famille où les hommes ont été mes premiers protecteurs. Cependant, je n'oublie jamais que des femmes pâtissent du comportement violent des hommes envers elles.» Pendant la décennie du terrorisme, alors qu'elle travaillait à la basse Casbah d'Alger, elle a pu voir «l'horreur». Son sentiment d'impuissance face à la souffrance quotidienne des victimes de la violence, contre laquelle la neurologie ne pouvait rien, l'a poussée à s'engager auprès du réseau. Nadia Ouarek Amedjouk, 50 ans, psychologue orthophoniste, propose également ses services au réseau. «Ce n'est pas un hasard si au moment où les petites filles jouaient à la poupée, j'aidais les femmes à porter leurs couffins», relate-t-elle. Et d'ajouter : «Je ne supporte pas l'injustice et la hogra. J'ai rejoint une association qui venait en aide à des personnes défavorisées ou victimes de violence durant la décennie noire. Et je tenais à travailler avec les enfants. De plus, c'est parce que dans mon entourage, les hommes ont respecté les femmes que je me suis engagée en faveur des femmes et enfants pour qui les hommes étaient devenus source de violence». Aïcha Abed, 54 ans, médecin, s'est retrouvée dans cette lutte en répondant à l'invitation d'une association à l'occasion de la sortie du Livre Noir du réseau en tant que technicienne de la santé. C'est ainsi que «j'ai pris conscience que les victimes de la violence avaient besoin de plus qu'une prise en charge médicale. En tant que médecin, on ne peut se contenter de soigner seulement les blessures en laissant faire la violence», déclare-t-elle. Si ces bénévoles ont été amenées dans ce combat par leur profession, d'autres, à l'instar de Louisa Aït Hamou, 60 ans, ou Fatma Oussedik, 62 ans, ont mené une bataille pour les droits des femmes dès les prémisses du mouvement féministe en Algérie vers la fin des années 1970. Par le biais des mouvements estudiantins, elles commençaient déjà à poser la problématique. Leur combat à cette époque était plus d'ordre politique. Aujourd'hui, la nature de leur lutte est double : à la fois politique et caritative. Mais ces bénévoles ont un point commun, toutes font partie de la même génération. Le mouvement pour les droits des femmes peine-t-il à mobiliser la jeune génération ? Bien que Louisa Aït Hamou reconnaisse un problème de relève, elle se réjouit de la forte présence des jeunes filles aux journées d'étude, comme ce fut le cas lors du dernier séminaire à Oran. «Sans qu'elles fassent forcément partie d'une association de femmes, leur discours est particulièrement passionnant.» Et de relever amèrement : «Elles ont cependant des difficultés à partir de leur réalité concrète.» Le féminisme fait-il peur ? Pour Louisa Aït Hamou, «la stigmatisation des féministes» y est pour beaucoup. «On oppose systématiquement la question de la femme à celle de la religion ou de l'occidentalisation de la société. Dès le plus jeune âge, on est ‘‘formatés'' afin d'accepter la violence et la discrimination à l'égard des femmes», explique-t-elle. La militante ne manque pas de préciser que «cette politique est construite afin de détruire le mouvement de contestation et de lutte pour les droits des femmes. Elle entre, selon elle, dans le cadre de la dépolitisation voulue et structurelle de la jeunesse». Un point appuyé par les autres féministes interrogées, à l'instar de Faika Medjahed pour qui «l'absence d'espace de débat et de réflexion, la confiscation des espaces d'échange, la qualité de la formation des nouvelles générations et leur apolitisme voulu» rendent la transmission difficile. Fatma Oussedik se demande également si «ce n'est pas l'action politique qui est discréditée chez les jeunes», mais pointe «l'extrême sympathie» que les féministes de l'ancienne génération ont auprès des jeunes qu'elles rencontrent lors de leurs activités. «Ceci montre bien la communauté de lutte. Maintenant, il est possible que la forme de lutte que nous avons ne corresponde pas à celle des plus jeunes», explique la sociologue. Et d'ajouter : «Dans tous les mouvements sociaux, il faut assumer l'idée qu'il y a une avant-garde. Ce n'est pas vraiment étonnant qu'on ait cette moyenne d'âge. On vient toutes avec une expérience. Nous sommes en position de transmission.» Sont-elles inquiètes que le mouvement s'essouffle ? «Nous sommes optimistes», répondent-elles à l'unisson. Le nombre des jeunes qui se mobilisent, à leur manière, est rassurant. Feriel, 32 ans, juriste, et Chahira, 23 ans, psychologue, qui tiennent le centre d'écoute en sont un exemple. Tous les jours de la semaine, elles écoutent des femmes, les informent de leurs droits et les orientent. Leurs modestes revenus, souvent non versés à temps, ne les découragent pas. «C'est pour la bonne cause», disent-elles.