A une dizaine de kilomètres de la ville de Tindouf, à 2000 km au sud-ouest d'Alger, s'étend Kandahar, anciennement Esslaga au bord de Reg El M'habil (le désert des fous) : en bout de route, un labyrinthique amoncellement de bicoques en toub et en tôles ramassant toute la misère du monde. « Ne soyez pas étonné du nom de ce quartier. Il y a un autre bidonville à Tindouf qu'on appelle ‘'Sabarni'' (console-moi) », dit le chauffeur de taxi qui nous dépose devant une épicerie dans une case en tôle et en matériaux de récupération. « Si jamais ce que vous écrivez arrive jusqu'à Bouteflika, qu'il nous donne des logements, sinon, on s'en remet à Dieu », lance une mère de quatre enfants, tenancière de l'épicerie. « Quand les gens ont vu à la télé Kandahar, ils ont tout de suite appelé ce quartier ainsi. C'est ressemblant, non ? », ironise la mère Saïdi qui élève ses quatre nièces après le décès de leur mère. La scène se répète tout au long de notre visite : des femmes au regard fatigué et des enfants en guenilles insistent pour nous montrer leur intérieur. Souvent, il s'agit de maisons en toub ou carrément en tôle avec pour murs des couches de couvertures retenus par du fil de fer. Le mobilier est sommaire. Les couches posées à même le sol glacial de l'hiver intransigeant de la h'mada. L'eau est achetée à 500 DA les 200 litres. Souvent, les mères de famille marchent pendant vingt minutes, par tous les temps, jusqu'au hassi (puits) à la sortie du quartier. Mais souvent en hiver, l'eau ne s'achète pas. Elle attaque comme dans la nuit d'avant-hier mardi. « La pluie nous menace. A la moindre averse, on perd tout », raconte Mme Talhaoui dont la plupart de ses affaires ont été mises à l'abri chez des proches habitant dans des maisons en dur dans la périphérie de Tindouf. Hier matin, la gadoue avait englouti une bonne partie des sentiers de Kandahar. La pluie a eu raison de certaines maisons. Un pan de mur de cuisine par-ci, une partie latérale d'une tente de fortune par-là. « Il faut attendre que ça sèche. Là, les pénétrations d'eau fragilisent le toub et les vrais dégâts commencent alors », explique le commandant Aït Ouali de l'unité principale de Protection civile de Tindouf. A ses yeux, les dégâts causés par les pluies à Kandahar ou dans les vieux quartiers du centre-ville, Moussani et Remadine, sont devenus de la « routine ». A Kandahar, les quelques centaines de familles entassées dans des gourbis d'un autre âge tentent tant bien que mal de colmater les brèches, de dégager la boue et de préparer quelque chose de chaud pour des enfants mal réveillés qui portent dans leurs yeux et dans leurs habits les traces d'une nuit difficile. « Des policiers se sont positionnés, hier, aux abords du quartier pour barrer la route au cas où nous tenterions d'occuper les logements vides d'à côté », raconte un jeune de Kandahar. « Chaque fois qu'il y a un programme pour les reloger, d'autres viennent occuper leurs bicoques », commente un habitant du centre-ville. isolement « On est là depuis plus de quatorze ans. Nous n'avons jamais bénéficié de la moindre aide. Les listes de relogement nous oublient systématiquement », disent les Bousbî. Leur voisine nous invite à entrer en poussant devant elle une portière de frigo en guise de porte d'entrée. La petite Khadija Ammari, huit mois, est malade. Elle a attrapé froid et dort sous un toit en tôle couvert de sacs en plastique. Le nombre des bébés souffrant de malformation et de handicapés rejoint les standards du Moyen-Age. « Comment voulez-vous que nos enfants ne déversent pas leur colère et ne cassent pas tout. Depuis les dernières pluies, j'oblige mes enfants à dormir un peu partout car je n'ai plus où les mettre », s'emporte une mère habitant une bicoque de deux pièces d'à peine deux mètres sur deux en toub séparée par une cour en guise de cuisine où s'amoncellent bouteilles de butane et ustensiles rouillés. Chaque famille possède deux ou trois chèvres, « question de ne pas crever de faim », disent les femmes rencontrées et insistent pour nous inviter à partager le thé préparé à la braise. Elles offrent du parfum pour souhaiter la bienvenue et vous disent, malicieuses sous leurs abaya : « S'il n'y avait pas les derniers événements, vous ne seriez jamais venus nous voir. » « Tindouf est isolée, sa misère est cachée », s'accordent à dire nos interlocuteurs. « Avec un biller d'avion Alger-Tindouf à 26 000 DA aller-retour, on ne se bouscule pas pour venir ou pour s'installer ici », dit un ancien enseignant qui évoque également la crise du carburant. « Je n'ai pas le droit d'acheter plus de 50 % du plein. C'est comme cela qu'ils veulent combattre la contrebande du carburant destiné à la Mauritanie du Nord. Ils nous pénalisent nous », estime un chauffeur de taxi. A Kandahar, ce n'est pas le carburant qui pose problème, c'est juste la vie. « Si on nous considère comme des Algériens, qu'ils nous donnent un toit », résume la mère Khaleg. « On nous dit tout le temps de ne pas trop se plaindre ou de critiquer car la position de Tindouf est stratégique, car ‘'il ne faut pas donner d'arguments aux Marocains qui n'attendent que ça''. Mais on ne peut tout accepter », commente un Tindoufi entre deux averses.