Le «Hic», dans la livraison d'El Watan du 24 novembre dernier, a eu raison de poser, avec l'humour qu'on lui connaît, le dilemme entre le tribunal libyen ou le Tribunal international de La Haye (TPI) à l'effet de savoir quelle est la juridiction compétente nationale ou internationale qui sera appelée à juger Seïf Al Islam El Gueddafi, et quelle loi lui sera-t-elle appliquée ? Sujet de droit international ou objet d'une simple capture nationale, ce cas d'espèce suscite beaucoup d'interrogations autant pour l'initié que pour le profane. Seï Al Islam El Gueddafi (en abrégé S.1.K), citoyen libyen, s'est engagé volontairement et délibérément dans une guerre insensée pour sauver «l'ordre vert», que son défunt père Mouammar El Gueddafi incarnait, dans une institution suis-generis, de guide de la révolution englobant la nation d'idéologue, de commandeur de ses sujets et de chef d'Etat avec les pleins pouvoirs de vie ou de mort suivant la formule qui lui est consacrée «Zenga Zenga». La Libye a eu de tout temps ses valeureux héros, pour ne citer que le célèbre et glorieux Omar El Mokhtar. Elle en a et en aura toujours. Mais l'entêtement d'El Gueddafi àde vouloir garder le pouvoir, maintenir sous son joug son peuple en ébullition et s'obstiner à vouloir gagner une guerre insensée dépasse tout entendement, alors aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur, il a été pris dans sa propre spirale. Même la gravité des douleurs infligées à son peuple pris en otage de part et d'autre, contraint de demander l'aide internationale, le traitement affreux et atroce de la capture de Mouammar El Gueddafi et de son exécution expéditive est inhumaine et choquante. Elle ne répond pas à la satisfaction de la «noblesse» du droit de prisonnier de guerre, du droit humain des nations civilisées définit par la justice qui est logiquement l'antidote de la haine. Ce déni de droit et de justice est inquiétant. Car, par de-là les vicissitudes des combats, et l'aberration des doctrines irrationnelles, la raison commande son instant de lucidité, celui de la justice humaine pour tout un chacun et qu'il puisse en retenir les leçon à l'heure d'un ordre international mouvementé où la crise du droit impose le renouvellement de la pensée civilisationnelle, car l'homme n'en n'est qu'au début de la civilisation humaine, par la prise de conscience de l'existence de son prochain et surtout de la prise en compte de l'autre quels que soient ses croyances, son ethnie, sa couleur, sa langue, son opinion. Partant de ce postulat, la loi et son application doit être la même pour tous, du moins pour tous les humains qui répondent au critère de normalité. S.1.K(1) est sous le coup d'un mandat d'arrêt international ordonné et délivré par le Tribunal pénal international de La Haye (TPI). Il est poursuivi pour crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, ce qui est une notion nouvelle en droit positif. Tous les éléments font que le tribunal compétent, en raison des accusations, est le TPI. L'arrestation de S.1.K par les autorités libyennes sur le sol libyen n'exclut pas la compétence du TPI, puisqu'il s'agit de délits prévus et réprimés par le droit international pénal. Bien sûr, L'Etat libyen peut toujours demander qu'il soit jugé en libye, suivant le principe de la «lex loci delecti comissie», c'est-à-dire que le tribunal compétent est celui du fort, soit celui de la juridiction saisie et la loi applicable est celle du lieu de la commission, du lieu du délit, en d'autres termes que tout concorde pour rendre la loi libyenne compétente et applicable. Mais laquelle ? Celle d'avant la révolution ou celle de l'ordre nouveau. Si cela est vrai en matière de droit interne, il n'en est pas de même lorsque la qualification juridique de ces crimes est d'ordre international, où les auteurs et la nature des infractions sont déterminés par le droit international et qu'il existe un tribunal international spécialisé pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Le conflit des juridictions et celui des loi existent certes, mais ils peuvent être écartés pour l'option de la juridiction internationale du TPI, créée spécialement pour cette catégorie de crimes, ce qui n'empêche pas le dédoublement fonctionnel des juridictions nationales dans l'hypothèse où les Etats ont intégré dans leur législation interne le droit humain et civilisationnel, ce qui est à vérifier dans le cas présentement du nouvel Etat libyen. L'évolution du droit va vers l'uniformisation de la qualification de la notion de crime de guerre et du crime contre l'humanité, pour contrecarrer le droit barbare d'antan(2) quelle que soit la qualité de l'auteur détenteur du pouvoir en place, ou aspirant à le devenir comme dans le cas de S.I.K., ou encore de tout belligérant combattant pour la prise, le maintien ou le renversement du pouvoir effectif. Le droit international s'attache à l'acte criminel, qu'importe que l'auteur soit blanc, noir, jaune, religieux ou non, démocrate ou despote, pourvu que les faits incriminés soient qualifiés de crimes contre l'humanité(3). Les exemples ne manquent pas. Du procès par le tribunal de Nuremberg sur les crimes nazis d'Hitler, à celui ou plutôt ceux des crimes de Bosnie et des généraux serbes de l'ex-Yougoslavie, etc. Sont l'illustration que la justice internationale, voire universelle, est un espoir pour l'accès à la justice internationale, laquelle ne doit pas être un privilège seulement pour les Européens, pour les soustraire aux juridictions nationales des pays africains, asiatiques et arabes et de leur régime pénitentiaire, à moins d'avoir le privilège de l'ancien président déchu de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, d'avoir été envoyé devant le TPI(4) de la Haye, alors que d'autres pour des cas similaires ont été jugés par des juridictions et leur sort ne s'est fait pas attendre(5). A croire que les droits humains ne font pas partie du patrimoine commun de l'humanité, et qu'il s'agit d'une exception mais spécifique, puisque beaucoup de crimes restent encore impunis et que leurs auteurs continuent de cavaler ou de narguer l'humanité tout entière, au nom de l'ordre établi ou d'un suffrage utile, alors qu'en pareil cas, l'excuse absolutoire n'est que celle de sauver des vies(6). Renvois : 1) - Seïf Al Islam. 2) - Des crimes de guerre en Bosnie- Un avocat algérien témoigne- El Watan du 24 décembre 1995. L'auteur a participé à la Conférence d'experts, portant sur la révision des Conventions de Genève et les 3 protocoles additionnels, qui s'est tenue à Genève (1971-1972). 3)- avant les Conventions de Genève de 1949, le droit de guerre était barbare, il suffit de se rappeler des deux guerres mondiales 1914/1918 et 1939/1945 et de la bombe atomique larguée sur Hiroshima et Nagasaki, ainsi que les guerres coloniales, y compris celle dont l'Algérie a été victime depuis 1830 avec ses crimes et horreurs, des massacres du 8 Mai 1945. 4)- TPl. Le Tribunal pénal international qui a son siège à La Haye. 5)- Le cas du président irakien, Saddam Hussein, jugé en Irak, condamné a mort et exécuté. 6- Dans l'Islam, il est prescrit de sauver l'homme et humanité, étant dit que «l'un ne va pas sans l'autre». Dans les dix commandements, il est prescrit : «Tu ne tueras point.»