Le parti du Premier ministre Abdelilah Benkirane contrôle 11 départements dans un cabinet de 30 ministres. Avec la bénédiction du roi. L'accouchement a été difficile, mais la «naissance» du premier gouvernement, à majorité islamiste au Maroc, a fini par être annoncée et bénie par «Sidna» Mohammed VI. Il a donc fallu plus d'un mois de tractations, parfois serrées, après des législatives anticipées dans le tourbillon du Printemps arabe, pour que l'Exécutif dirigé pour la première fois au Maroc par un islamiste, Abdelilah Benkirane, soit adoubé par le palais royal, détendeur du pouvoir réel. Et pour une première, ç'en est vraiment une, puisque le Parti justice et développement (PJD), du Premier ministre Abdelilah Benkirane, a obtenu 12 ministères sur 30, dont deux portefeuilles de souveraineté, les Affaires étrangères et la Justice. C'est incontestablement un transfert de pouvoir non négligeable dans un pays où ces ministères relevaient jusque-là du pouvoir discrétionnaire du roi. Et c'est à l'ex-secrétaire général du PJD, Saad-Eddine El Othmani, élu à Mohammedia, qu'a été confiée la conduite de la diplomatie marocaine. Connu pour être un homme intègre et compétent, M. Othmani incarne l'intellectuel sage et conciliant qui a toujours rejeté l'étiquetage «islamiste» de son parti. Pour le voisinage immédiat, le nouveau ministre des Affaires étrangères paraît être l'homme qu'il faut pour détendre les relations entre Rabat et Alger. Une chose est certaine, il ne sera pas pire que Fassi Fihri qui passe son temps à casser de l'Algérie. L'autre grosse surprise concerne la nomination de Mustafa Ramid à la tête du ministère de la Justice. Ce membre du secrétariat général du PJD est connu pour être un dur à cuire. Son parti a dû le remplacer à la tête de son groupe parlementaire sur instruction du palais. Partisan de la ligne dure contre le makhzen, Mustapha Ramid se voit ainsi remis en selle par son ami Benkirane. La troisième surprise du roi concerne la nomination de Mohand Laenser, chef du Mouvement populaire (libéral), au très sensible ministère de l'Intérieur. Le PJD a donc réussi à enlever deux ministères de souveraineté sur trois. Le portefeuille de la Défense reste dirigé par Abdellatif Loudiyi, un indépendant. Une seule femme… au «foyer» de la solidarité Comme il fallait s'y attendre, le secrétaire général du parti du Progrès et du socialisme (PPS), Nabil Benabdellah, qui adore être ministre, a été désigné au département de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville. Le parti l'Istiqlal, dont la participation était compromise au cabinet de Benkirane, a obtenu six ministères, dont celui des Finances et de l'Economie, que va diriger Nizar Baraka. Trois départements n'ont pas changé de titulaires, à savoir les Affaires islamiques (Ahmed Taoufiq), l'Agriculture (Aziz Akhennouch) et la Défense et l'Administration (Abdellatif Loudiyi). C'est dire que le premier gouvernement islamiste est plutôt multicolore puisque la gauche et les nationalistes ont accepté le challenge de donner un coup de main aux islamistes du PJD. En revanche, le Parti authenticité et modernité (PAM), ou le «tracteur» de Fouad Ali El Hima, a rejoint l'opposition même si ce dernier devrait gérer un «gouvernement parallèle» en qualité de conseiller du roi. De même que le Rassemblement national des indépendants (RNI) va animer l'opposition au sein du Parlement. Une fausse note cependant : seule une femme hérite d'un poste de ministre, à savoir Bassima Hakkaoui du PJD. Et comme chez nous en Algérie, elle est chargée de la Solidarité, de la femme, de la Famille et du Développement social. Une femme au foyer ou presque… Au final, ce casting gouvernemental paraît être un choix (judicieux) du roi dans sa volonté de crédibiliser des réformes politiques et constitutionnelles décries par le Mouvement des jeunes du 20 février. Avec Benkirane et son équipe, Mohammed VI s'offre un sursis à l'intérieur et envoie des signaux positifs à l'extérieur qu'il a délégué beaucoup de ses pouvoirs à la majorité issue des urnes. Le gouvernement du PJD devra maintenant faire ses preuves sur le terrain, et déclarer la guerre à la corruption loin du discours moralisateur.