Si avec la chute du régime de Mouammar El Gueddafi le plus dur a été fait en Libye, il semble tout de même que le pire est à craindre dans ce pays désormais régenté par des milices armées. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, le président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, a reconnu l'existence de «confrontations militaires» et évoqué, dans la foulée, le risque d'une «sécession», voire même d'une «guerre civile». «Sans sécurité, il ne peut y avoir ni de justice, ni de progrès, ni d'élections. Chacun veut faire sa propre loi (…)», a-t-il averti cette semaine après un énième refus des «thowar» (révolutionnaires) de reconnaître l'autorité du CNT et de déposer les armes. C'est qu'avec la multiplication des incidents en plein centre de Tripoli, il était difficile à Moustapha Abdeljalil de cacher davantage la réalité. Près de trois mois après la libération, la Libye est, en effet, toujours en proie à des accrochages sanglants entre rebelles. En l'absence d'une autorité centrale reconnue par tous, la situation a pour effet immédiat de creuser davantage les divisions tribales et régionales. Le tout se déroulant bien évidemment sur fond de course effrénée pour le pouvoir. L'autre élément, qui n'ira sans doute pas sans accroître la crise ouverte entre le CNT et les «thowar», a trait à la nomination, par le CNT, d'un chef d'état-major à la tête de la nouvelle armée libyenne. Moustapha Abdeljalil et ses compagnons du CNT viennent, en effet, d'imposer le colonel Youssef El Mangouch comme nouveau commandant en chef des forces armées, poste resté vacant depuis l'assassinat du général Abdelfattah Younès en juillet dernier. Des groupes d'anciens rebelles ont effectivement rejeté cette nomination aussitôt annoncée. Pourtant, en misant sur Youssef El Mangouch, le CNT avait fait le choix du compromis. Originaire de Misrata, le colonel El Mangouch, devenu entre-temps général, a rejoint l'insurrection dès ses débuts. Les rebelles veulent leur part de pouvoir Alors pourquoi ce rejet ? La coalition des «thowar» de Libye rappelle à ce propos qu'en décembre dernier, Moustapha Abdeljalil avait demandé aux «thowar» de présenter un ou des candidats à ce poste très convoité. Après des négociations, les ex-rebelles se sont mis d'accord sur une liste de six hauts gradés. Tous ont fait partie de l'ancienne armée libyenne et tous ont participé activement aux combats contre le régime de Mouammar El Gueddafi. Le nom du nouveau chef d'état-major choisi par le CNT ne figurait pas sur cette liste. Aussi, sa nomination vient montrer que leurs propositions n'ont tout simplement pas été prises au sérieux et que le CNT continue à faire cavalier seul. Bref, ils se sont fait duper. Ce qui bien entendu les a rendus fous de rage. Aujourd'hui, les «thowar» continuent de défier le pouvoir en choisissant Salah Salem Al Obeïdi, un haut officier issu d'une famille très implantée dans l'Est, en le nommant chef d'état-major. Signe sans doute que la confrontation sera inévitable entre les deux parties, le CNT a affirmé hier que la nomination du chef d'état-major de la future armée libyenne était «irréversible». «La décision du CNT de nommer le colonel Youssef El Mangouch est une décision finale et irréversible», a déclaré à la presse Mokhtar Al Jadal, membre du comité médiatique du CNT, précisant que M. El Mangouch avait été choisi par la majorité des membres du CNT. La question est maintenant de savoir si les milices réfractaires à la nomination d'El Mangouch céderont et, surtout, accepteront se laisser désarmer. Le CNT a-t-il les moyens d'engager un bras de fer avec les «thowar» ? Peu probable ! Du moins, il ne peut pas vraiment compter sur les quelques sections de «thowar» qui viennent de l'assurer de leur soutien. Il faut savoir que pour l'heure, ce sont les anciens «rebelles» qui assurent le maintien de l'ordre en Libye et non l'armée libyenne qui n'existe pour ainsi dire pas encore. Pour le moment, le CNT aura juste réussi à créer une scission au sein des «thowar» qui peut s'avérer des plus dangereuses.