- Malgré l'existence d'une loi (08/96 du 18 décembre 1996) fixant les conditions de création et d'agrément de bureaux de change, le marché informel de devises prend le dessus et continue d'imposer ses lois aux particuliers comme aux entreprises. Selon vous, pourquoi la loi n'est-elle pas appliquée ? Avant d'évoquer la question des bureaux de change privés, il faut relever, en premier lieu, le fait que le système économique algérien favorise et épaissit le volume et le rôle du marché informel de devises. L'Algérie est le seul pays qui souffre de ce phénomène dans la région. A mon avis, la meilleure parade possible à ce fléau antiéconomique est de repenser les textes encadrant l'activité des bureaux de change privés, de manière à majorer les marges de gain, limiter le plafond des transactions et accroître le contrôle des opérations. Il faut reconnaître que les textes actuels ne favorisent aucunement l'investissement privé dans l'activité de change. Les marges bénéficiaires, indexées sur les taux de change officiels, ne sont aucunement encourageantes. Il faut relever aussi le fait que la loi de 1996 fixant les conditions de création et d'agrément de bureaux de change n'a pas été suivie de textes d'application définissant les modèles de gestion, les rapports entre la Banque d'Algérie et les bureaux de change privés ainsi que les marges bénéficiaires. La révision de la politique de change et la création d'un «dinar nouveau» pourrait aussi venir à bout de ce fléau du marché informel de devises. Depuis 1996, le blocage réglementaire demeure intact. Aucun bureau de change privé n'a été agréé. Cependant, il faut admettre qu'aucun investisseur n'est en mesure de prendre le risque de s'aligner sur le taux de change officiel, alors que le marché informel offre des marges de gain beaucoup plus importantes. - Certains experts estiment que le marché informel des monnaies s'érige comme seule référence pour l'estimation de la valeur réelle de la monnaie nationale. Quel est votre avis ? Le taux de change officiel continue à obéir à des considérations économiques, procurant à la Banque d'Algérie le droit d'intervenir afin de limiter la parité dinar-euro et/ou dinar-dollar, de doper la compétitivité du pays dans le domaine du commerce extérieur ou encore de rationner le flux des importations tel que cela a été effectué en 2011, lorsque le dinar a connu une dépréciation de 8 à 10% face à la monnaie unique et au billet vert. Nous avons aussi constaté que le différentiel entre le taux de change officiel et le taux de change dans le marché informel a connu diverses variations, dans un contexte, rappelons-le, marqué par l'inconvertibilité de la monnaie nationale, excepté dans son aspect commercial. Le différentiel a été, néanmoins, creusé sous l'influence, il est utile de le reconnaître, de certaines récentes décisions prises par le gouvernement algérien. Le rôle du marché informel des monnaies a été plus que jamais renforcé. - Pensez-vous que l'ouverture de bureaux de change privés serait susceptible de venir à bout de ce phénomène du marché parallèle de devises ? Il est aujourd'hui plus que jamais possible d'introduire de nouveaux mécanismes et de nouveaux textes à même de stimuler l'investissement privé dans l'activité de change, en révisant surtout à la hausse la marge bénéficiaire de 1% prévue par la loi fixant les conditions de création et d'agrément de bureaux de change. La révision à la hausse de cette marge bénéficiaire de 1% pourrait être applicable aussi aux banques à la condition de parvenir à faire l'équilibre entre les capitaux entrants, les sommes sortantes et le volume des liquidités en devises dont elles disposent. Les marges bénéficiaires applicables aux banques doivent être supérieures à celles applicables aux bureaux de change privés afin de parvenir à bancariser les sommes importantes en devises qui circulent dans le marché parallèle. Il faut reconnaître que le vide juridique qui perdure depuis plusieurs années ne fait qu'amplifier le rôle et le volume du marché parallèle des monnaies, lequel dispose, aujourd'hui, d'une vingtaine de plateformes à l'échelle nationale. Ces plateformes ont souvent des ramifications à l'international, qui sont souvent d'un apport supplémentaire important en matière de gain. C'est-à-dire que le bénéfice est double, pouvant aller jusqu'à 25% des bénéfices collectés par les banques. - Pendant que l'ouverture des bureaux de change privés bute sur le blocage réglementaire, les banques continuent d'appliquer une politique plus ou moins absurde en matière de change. Quel commentaire pouvez-vous en faire ? L'appréciation de la valeur des devises sur le marché parallèle, face à la valeur de la monnaie nationale, est liée en partie à la hausse de la demande. Les transactions de change au niveau des banques sont limitées aux titulaires de comptes devises, sinon sous forme d'une simple et insignifiante allocation de voyage. Afin de contourner cette absurdité, il est important justement de libéraliser l'activité de change en fixant clairement les règles du jeu, les modalités de fonctionnement des bureaux de change privés, de fixer des marges bénéficiaires encourageantes, un cadrage fiscal approprié, de plafonner éventuellement la valeur des transactions afin d'assurer l'équilibre de disponibilités de ressources en dinars et en devises, de définir les rapports des bureaux de change avec la Banque d'Algérie, etc. Il est aussi important, à mon avis, de débureaucratiser le processus procédural conduisant à l'obtention de l'agrément pour l'ouverture d'un bureau de change privé. Les instances monétaires peuvent procéder aussi à la création d'un «nouveau dinar» tel que cela a été fait par la France qui est passée d'un ancien franc à un nouveau franc, histoire de créer la dynamique précédant la convertibilité d'une monnaie car, tôt ou tard, l'Algérie doit assurer sa métamorphose monétaire et réviser sa politique en la matière.