Le livre-enquête du duo Ali Amar-Jean Pierre Tuquoi fera mal. Fruit d'une patiente enquête, comme le laissent deviner la précision des détails fournis et leur fluide mise en relation, le bouquin met au jour les turpitudes du palais royal et les complicités pas toujours avouables de la classe politique française. Le disque dur de cette idylle à enchâssements, aux relents interlopes parfois, est littéralement scanné. «Une immersion dans le marigot des liens incestueux qui lient les puissants des deux pays. Ils constituent en cela le fameux club France-Maroc. Une sorte de tribu sectaire et ultra-selecte aux mœurs secrètes qui donne le la aux relations franco-marocaines sur tous les plans : politique, diplomatique, économique, etc.», présente Ali Amar dans une récente interview. Et le livre est à la mesure de la description. La trame se construit sur cette quasi-fascination qu'entretiennent les Français pour Marrakech : pour ses charmes exotiques qui ne laissent pas indifférents les contingents de touristes anonymes ; pour des attraits beaucoup moins innocents, pour la catégorie des happy few. Kech est décrite ici comme le lieu du fantasme sulfureux, du résautage d'affaires et des pactes obscurs. «S'intéresser à la ville, scruter le ballet des hommes politiques, des intellectuels, des chefs d'entreprise français qui y viennent en villégiature, observer les mœurs - pas toujours glorieuses - de nos élites sur place, renvoie forcément aux liens entre la France et le Maroc», postulent les auteurs. Sur ce plan d'ailleurs, le lecteur algérien de l'ouvrage verra mieux éclairée sa lanterne sur le secret de la facilité marocaine, au-delà de la balourdise des responsables algériens, à drainer le flux des investissements français ou à gagner les faveurs diplomatiques de Paris. L'offensive de charme du makhzen est aussi assidue que peu regardante sur l'éthique. Casting royal De même qu'elle ne s'embarrasse d'aucune forme de ce nationalisme qui provoque des crises d'urticaire au pays de Sarkozy. DSK, Dominique de Villepin, Eric Besson, Manuel Valls, Brice Hortefeux, Frédéric Mitterrand, Hubert Védrine… et bien entendu Nicolas Sarkozy, tous bénéficient de la générosité royale de M6. Le roi, ce faisant ne fait que suivre les sillons de ses ascendants de monarques pour garder toute la ferveur de cette «amitié» avec les faiseurs de décisions et d'opinions en France. Les faiseurs d'argent aussi puisque le patronat français est à son tour choyé moyennant petites et grandes attentions. «Les cadeaux, petits ou grands, sont une autre façon de s'attacher des fidélités. Une invitation, tous frais payés, à un festival de musique, à un colloque de haute volée, à l'inauguration d'un palace à Marrakech, un bout de terrain constructible, une décoration… rien de tel pour se faire des obligés français qui auront à cœur de renvoyer l'ascenseur», révèle l'enquête. Et les Français savent renvoyer l'ascenseur. Ils s'attelleront à soigner l'image d'un Mohammed VI «démocrate, épris de justice sociale à l'écoute d'un peuple qui le vénère», tandis que les dirigeants d'entreprise et les banquiers favoriseront le partenaire marocain. «Kech», luxe et luxure Le livre suggère à ce propos que dans ce «marché de dupes», il n'y a de dupes que les Marocains, puisque le royaume désargenté, devenu «l'arrière-cour des groupes français du CAC 40», s'endette à financer des projets de prestige qui font la part belle au déploiement des grands groupes français. Et c'est encore une fois à Marrakech, ville où le beau monde français se donne rendez-vous, que la cuisine se fait. «C'est dans un riad de la médina, au bord de la piscine d'un palace, ou dans une villa au cœur de la palmeraie, que se nouent les pactes politiques et des alliances industrielles. En arrière-plan se dessine aussi une Marrakech qui, sur fond de misère, offre des plaisirs sexuels interdits en Europe», résume le quatrième de couverture. Marrakech est devenue la nouvelle Sodome pour les auteurs, capitale du pédotourisme, et autres perversités, tandis que la monarchie préfère regarder ailleurs. «Pas question d'importuner les hôtes du royaume, surtout s'il s'agit de célébrités. Et que l'on ne compte pas sur Rabat pour exercer des pressions sur Paris», persiflent les auteurs.