-Comment expliquez-vous la faiblesse de la présence féminine dans les créations théâtrales ? Nous n'avons pas beaucoup de metteurs en scène femmes. Les seules qui existent sont Fouzia et Hamida Aït El Hadj, formées en ex-URSS, ou Sonia. Il n'y a pas de metteurs en scène de métier. La plupart enseignent à l'Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel (Ismas, ex-Inadc de Bordj El Kiffan). Ils sont plus des pédagogues qui touchent rarement à la mise en scène, professionnellement parlant. Il existe quelques scénographes formés à Bordj El Kiffan. Donc, la problématique des métiers du spectacle se pose d'une manière générale, mais avec plus d'acuité pour les femmes. Jusqu'à présent, la femme n'a pas encore conquis l'espace théâtral dans toutes ses composantes. Le théâtre amateur a joué quand même un rôle d'investigation et de sensibilisation pour intéresser des lycéennes et des étudiantes. Nous n'avons pas assez de comédiennes. Il faut tirer la sonnette d'alarme -Quelle en est la raison justement ? La source des problèmes est la formation. Nous n'avons pas formé assez de comédiennes et de comédiens. L'école et l'université n'ont pas joué le jeu aussi. Le théâtre, en tant que pratique et en tant qu'art, doit être pris en charge académiquement et pédagogiquement, c'est-à-dire il faut enseigner le théâtre à l'école. L'éducation artistique et esthétique est fondamentale dès le bas âge. Les communes et les wilayas peuvent jouer un rôle en construisant des centres de formation ou des conservatoires. Il faut aller vers un bac artistique, vers des institutions artistiques, et, pourquoi pas, vers une grande académie des arts en Algérie. A partir de là, on verra les choses plus clairement. Ce qui est valable pour le théâtre l'est également pour le cinéma et la musique. Il y a des arts individualisés, tels que la peinture. Il existe beaucoup de femmes peintres en raison du fait que cette activité est isolée. Les parents peuvent accepter que leurs filles fassent de la peinture, puisqu'elles sont moins «exposées» à la mixité. Le théâtre est une activité collective. Après la présentation d'une pièce, on continue à faire des tournées. Cela peut créer des problèmes pour les comédiennes. Il y a les traditions, l'intégrisme, l'éducation scolaire penchant vers le conservatisme… Prenant tout cela en compte, on se dit qu'avoir une fille dans un spectacle relève déjà de l'audace ! -Vous évoquiez le théâtre amateur. Quel a été son apport en matière de découverte de comédiens, de metteurs en scène ? On ne peut en vouloir au théâtre amateur et lui demander plus qu'il n'en faille. Cela dit, tout ce que l'on voit aujourd'hui dans le théâtre, dit professionnel, vient du théâtre amateur. Le mouvement des années 1970 a donné ce que nous sommes en train d'utiliser actuellement. Moi-même, je suis issu de ce mouvement. Idem pour Hassan Assous (directeur du Théâtre régional de Sidi Bel Abbès, ndlr) pour les autres directeurs des théâtres régionaux, des comédiens… Il y a aussi l'apport des artistes formés à l'Ismas. Il reste que le mouvement du théâtre amateur a été affaibli par cette situation. D'autres compétences doivent être formées par le théâtre amateur pour régénérer le mouvement (…) Une nouvelle génération tente de construire des «élites» au niveau de ce théâtre. Cela prendra du temps. Les jeunes s'y intéressent. Les troupes amateurs doivent être prises en charge par un système de formation et d'encadrement pour obtenir des résultats en moins de temps. C'est ce que nous essayons de faire au niveau des théâtres régionaux. Nous sommes souvent obligés de puiser dans les troupes non professionnelles les comédiens pour nos pièces. C'est un vivier sur lequel on peut compter. Il faut en même temps ouvrir des écoles régionales des arts dramatiques. L'Ismas ne suffit pas. Cinq ou six écoles peuvent aider à redonner plus de jus à l'action théâtrale nationale. -Les centres de formation professionnelle peuvent aussi être sollicités… Oui. Ces centres peuvent former des techniciens de la lumière et du son, les accessoiristes, les machinistes. Le secteur de la formation professionnelle peut sous-traiter avec le ministère de la Culture, lequel peut préciser ses besoins annuels. Il peut, par exemple, indiquer que le théâtre et le cinéma ont besoin de 200 éclairagistes à former. Les CFPA sont dans la possibilité d'assurer ces formations pour les petits métiers techniques nécessaires pour les théâtres régionaux et les compagnies. L'Ismas s'occupera après de la formation esthétique d'un autre genre. La critique théâtrale peut être enseignée à l'université. Il ne faut pas avoir peur des mots : si nous faillissons encore une fois en matière de formation, on ne sera pas en bonne santé. Nous tenons encore le coup grâce à des expériences ici et là, mais c'est insuffisant. La survie du théâtre dépend de la poursuite de la formation. -Pourquoi le théâtre indépendant n'arrive-t-il pas à émerger, à s'imposer ? Vous avez face à vous quelqu'un qui a lancé presque toutes les compagnies en Algérie. J'ai une coopérative indépendante à Bordj Menaïel avec une salle. Avoir une salle est l'idéal pour une coopérative de théâtre. Cela facilite le montage des pièces et le travail des comédiens. Au niveau du théâtre Sindjab, on est arrivés à une autosuffisance financière. A un certain moment, on pouvait aller loin. Le séisme de 2003 a détruit la bâtisse qui abritait le théâtre. Avec l'appui du ministère de la Culture, nous avons reconstruit la salle du théâtre. Dans moins de deux mois, elle sera opérationnelle. Le théâtre des coopératives vit un problème sur le plan juridique. Après la mort de Abdelkader Alloula, qui avait créé la coopérative du 1er Mai, le ministère de la Culture avait, à l'époque, refusé de donner des agréments aux coopératives indépendantes. J'ai pris des initiatives et consulté des amis juristes. Une solution a été trouvée : agréer les coopératives par des actes notariés qui ont valeur juridique. A partir de là, plus de quarante coopératives ont vu le jour au niveau national sur le modèle du théâtre Sindjab. Il y a un autre problème : ces coopératives n'ont pas le droit à la subvention de l'Etat. On s'est entendu avec le ministère pour qu'on fonctionne sur la base d'un cahier des charges. Cela nous a permis d'avancer. Le ministère de la Culture a commencé à accorder l'agrément aux plus anciennes coopératives de théâtre. Cet agrément permet d'avoir des subventions. Reste que toutes les coopératives n'ont pas les mêmes capacités d'organisation. Il existe des coopératives qui sont réduites à deux clowns qui animent des spectacles et qui disparaissent après ! Les coopératives doivent être prises en charge par des gens impliquées dans la création artistique, des étudiants de l'Ismas, des retraités du TNA (Théâtre national algérien), etc. Il y a une tentative de créer une confédération des coopératives, mais c'est toujours à l'état de projet. La confédération permettra de défendre les droits et poser les problèmes d'une manière collective. Pour cela, il faut être solide. Les compagnies du théâtre parallèle en Grande-Bretagne en sont un exemple. Cela dit, les coopératives algériennes ont imposé leur présence au Festival national du théâtre professionnel. C'est déjà un acquis considérable… -Existe-t-il une crise du texte au théâtre ? Nous n'avons pas beaucoup de gens qui écrivent pour le théâtre. Il existe des romanciers ou des nouvellistes, peu de dramaturges. Cela pose problème, mais on ne peut pas parler de crise. Les textes sont là, avec les œuvres de Rachid Boudjedra, Tahar Djaout, Rachid Mimouni, Kateb Yacine, Mouloud Maameri, Mustapha Benfodil, etc. Il y a aussi les faits divers. Il faudrait qu'il y ait des dramaturges qui prennent en charge cette matière et en faire de véritables textes pour le théâtre. Tahar Djaout m'avait confié qu'il souhaitait que son roman Les vigiles soit adapté pour les planches. J'avais pris le texte et on en avait fait un beau spectacle. Idem pour Le fleuve détourné de Rachid Mimouni, adapté à la scène grâce à Hamida Aït El Hadj. Nous n'avons pas beaucoup de dramaturges en Algérie. Ce sont eux qui redonnent une autre vie à un texte. Une simple nouvelle peut devenir un spectacle de théâtre de grande qualité. Je préfère parler de dramaturgie que d'adaptation. Le déplacement du Festival international du théâtre professionnel d'Alger à Béjaïa est sûrement d'un grand apport pour vous… Et comment ! Nous sommes fiers que Béjaïa soit choisie pour abriter ce festival. C'est un challenge pour nous. Pour l'édition de cette année, nous pensons inviter de grandes personnalités du théâtre pour animer le festival, à l'image de Richard Demarcy, Peter Brook, José Monléon, Roger Assaf…Nous voulons élever le niveau du débat. Nous sommes en contact avec le théâtre de Dusseldorf (Allemagne) et Piccolo Teatro de Milan (Italie) pour les inviter à Béjaïa. Nous prévoyons également l'organisation d'un théâtre cirque en présence d'une troupe de Rouen (France). Cette forme théâtrale n'existe pas encore en Algérie.