Lecture de confort. Les émeutes de la jeunesse de janvier 2011 étaient un missile du secteur informel vers le gouvernement. Diagnostic «subtilement» décliné dans la conclusion de l'enquête sur les événements du «sucre et de l'huile». Une association télépathique des faits situe même l'arrêt net des émeutes au moment précis où les grossistes ont été informés des conclusions de la commission opérateur privés-administration publique qui a levé les exigences de transparence arrêtée par le gouvernement sur les transactions commerciales à partir du 1er janvier 2011. Comme si sur le terrain la répression ne faisait pas rage – 4 morts et des dizaines de blessés - et que dans le lot des sites pillés à travers le pays, il n'existait pas aussi des dépôts de grossistes. Le scénario de la toute-puissance politique de l'informel en janvier 2011, s'il ne satisfait pas à l'examen précis des faits contente, par contre, le reste du monde. Le gouvernement et le secteur privé formel. Le premier s'exonère des autres diagnostics possibles sur le mal-être algérien producteur d'immolés à la chaîne. Le second se positionne, sur ce coup, en allié du pouvoir politique contre l'archipel occulte de l'économie underground. Depuis, le gouvernement a été cohérent avec son diagnostic. Il a renoncé à toutes les mesures de traçabilité des transactions et a capitulé sur l'obligation du chèque. Mais il ne s'est pas contenté de cela, car, bien sûr, ces mesures n'auraient eu aucun impact sur les candidats émeutiers. La réponse directe à l'embrasement a été la relance et la «démocratisation» de l'accès au crédit. L'Ansej et la CNAC pour financer l'auto-embauche. Un répit acheté au prix fort. Une année plus tard, le ministère du Commerce prend la posture de la réflexion. Il coorganise, la semaine prochaine à Alger, en partenariat avec un privé national, un colloque international sur l'économie informelle. Il n'aurait pas été normal de prêter autant de pouvoir au secteur informel et de ne jamais faire un zoom sur son territoire. Prise de risque considérable. Car la production théorique sur le sujet a ses canons. Et son corpus doctrinaire prêt à l'emploi. Qui dit plus ou moins de manière univoque que dans le monde, le secteur informel est important là ou le coût de la formalisation est prohibitif. L'économiste péruvien Hernando De Soto est le grand gourou mondial de cette approche. La bonne nouvelle est pour les participants au colloque. De Soto sera à Alger pour l'expliquer. La moins bonne nouvelle est pour les autorités algériennes. Les coûts de transaction sont au cœur de l'approche «De Sotienne» sur l'informel. L'Occident a sécurisé et socialisé, le risque de transaction au bout de deux siècles de capitalisme entrepreunial coiffé d'un Etat de droit. C'est dans le monde d'aujourd'hui le plus gros avantage comparatif de pays capitalistes avancés face aux émergents. Un chef local du Parti communiste chinois peut toujours casser une entreprise privée de son district qui lui refuse des privilèges ou un accès au capital. L'indépendance au moins formelle de la justice rend le même investissement plus sûr en Grande-Bretagne. Même s'il y est moins rentable financièrement. Cette sécurisation juridique de la transaction s'est accompagnée d'une baisse tendancielle de ces coûts. Parmi les 30 pays dans le monde où il est le plus facile de créer une entreprise, de louer ou d'acquérir un local ou encore, d'ouvrir un compte bancaire, une majorité écrasante de pays de l'OCDE. Territoire de sécurité juridique. L'Algérie est, de ce point de vue, en dessous des pays émergents. L'administration invente tous les jours de nouvelles règles au prétexte de traquer la fraude. Les dernières sont, dans le cas qui nous intéresse, le renouvellement du registre du commerce tous les deux ans pour les opérations d'importation, et la multiplication des registres du commerce par groupe de produits importés avec séparation des locaux de stockage. Une réforme modernisante ou une invitation à plonger dans l'informel pour ceux qui ne pourront pas s'aligner ? Il existe un seuil au-delà duquel, en fonction du pays, de son histoire et de la force de son consensus social, le coût de la formalisation de l'entreprise est rejeté par les promoteurs. Le coût de l'informel devient alors compétitif. Agir en dehors de la loi est chargé de nuisances. Il empêche de grandir et de capitaliser. Mais assure une plus grande certitude sur les résultats de court terme. L'Algérie n'offre pas la sécurité de transaction d'un vieil Etat de droit. Mais développe une géologie bureaucratique de strates innombrables. Coût proéminent. Le courant de pensée qu'anime Hernando De Soto amène à la dérégulation. Pour intégrer ceux qui ont choisi de renoncer à leurs droits de citoyens et de travailler au noir, il faut déréguler la relation première avec les petits entreprenants. C'est pour lui un levier essentiel du développement. Réduire les barrières administratives et baisser la pression fiscale. La démarche peut être tentante. Avec les réserves d'office. Il s'agit d'intégrer l'informel, pas de construire une théorie générale du développement qui serait basée sur le désarmement de l'Etat. Il y a les paradis fiscaux pour cela. Avec le colloque international sur l'économie informelle, le ministère du Commerce accepte d'examiner le fondement de la philosophie de l'Etat. Intégrer à coût constant ou traquer à coût expansif ?