Ce ne sont pas les producteurs qui sont responsables de la spéculation, mais bel et bien ces réseaux d'intermédiaires qui travaillent dans l'informel ! Comme à l'accoutumée, ce sont les fellahs du douar Kraïmia, sur les hauteurs de Stidia, qui viennent d'entamer les premiers arrachages de la pomme de terre de saison. Soumis depuis plusieurs semaines à la pression du marché mais aussi à celle plus prégnante des acheteurs venus en force depuis l'Est de l'Algérie, ces fellahs ont finalement répondu aux attentes du marché. Toutefois, cette entame ne sera qu'un feu de paille car, suite aux effets parfois irréversibles du gel hivernal sur les plantations précoces, seuls les champs situés à proximité de la bande côtière ont miraculeusement échappé aux effets dévastateurs du froid. A leur décharge, ce sont surtout les prix fort attractifs proposés par les intermédiaires ainsi que les premières menaces du mildiou qui ont incité les cultivateurs à récolter. Ce sont les champs situés sur le plateau qui domine la mer qui ont reçu les premiers coups de bêche, mettant à nu les fameux tubercules que les consommateurs attendent avec appréhension; surtout depuis que la rareté du produit s'est traduite par une augmentation substantielle du prix de vente. Car, contrairement aux idées reçues et colportées à tort et à travers, ce ne sont pas les producteurs qui provoquent et entretiennent la spéculation sur ce produit de première nécessité, mais bel et bien ces réseaux d'intermédiaires qui travaillent dans l'informel et en toute impunité. De même que personne n'arrive à expliquer qu'en Kabylie, plusieurs types de pommes de terre garnissent les étalages à des prix variant entre 50 et 55 DA alors que les observateurs n'ont eu aucune peine à reconnaître les patates en provenance d'El Oued, ni celles récoltées dans l'Algérois ou dans la région de Boumerdès. Par contre, une troisième catégorie a de quoi alimenter la spéculation quant à son origine: de prime abord, il s'agit d'un produit étranger dont la maturité, ainsi que la couleur, ne laissent aucun doute sur son origine européenne. Or, comme il se trouve que le ministère de l'Agriculture n'a délivré aucune autorisation d'importation et que ni la Tunisie ni le Maroc ne disposent de stocks de pommes de terre d'importation susceptibles de franchir illégalement la frontière, il n'est pas exclu que ce tubercule disponible en Kabylie - à des prix défiant toute concurrence - n'ait été prélevé sur les stocks de semences de pommes de terre rapportés légalement en Algérie. Curieuses patates sur les étals Selon une source proche de la filière, ces patates proviendraient tout simplement d'une cargaison de 1000 tonnes de semences déclassées par son propriétaire. Notre interlocuteur tient à souligner que vu son bon état de conservation et du moment qu'elle n'est pas encore germée, cette patate peut être consommée sans risque par l'homme. Entre-temps, la presse de la semaine dernière rapportait qu'à travers plusieurs villes de l'Oranie, la pomme de terre s'est vendue au double du prix pratiqué à travers les villes et villages de Grande Kabylie. C'est pourquoi, pour la première fois de leur existence, les fellahs des Kraïmia ont vendu sur champ leur récolte entre 60 et 65 DA/kg. Un prix qui ferait tourner la tête à n'importe quel producteur car, même durant l'année 2005, lorsque Saïd Barkat était en charge du portefeuille de l'agriculture, avec les perturbations que l'on sait, la patate a été cédée sur champ à 40 DA. Toutefois, cette apparente embellie cache mal la dureté du labeur des cultivateurs qui doivent lutter sur plusieurs fronts. Celui de la disponibilité des semences, des engrais, de l'eau d'irrigation, des produits de traitements et de la main d'œuvre. Car rien qu'au moment de la récolte, l'ouvrier qui travaille «à la tâche» n'exige pas moins de 2 DA par kg de patates récoltées. Lorsque les rendements sont élevés, la cadence est réduite; mais lorsque les rendements sont faibles, la récolte exige plus de labeur. Ce qui ne fait pas l'affaire des arracheurs de patates qui se recrutent en grande majorité dans la commune de Bouguirat. Un quasi monopole qui a incité de gros producteurs à organiser une filière à partir de Aïn Defla, ces ouvriers saisonniers acceptant d'effectuer deux vacations/jour, contrairement aux locaux qui se suffisent d'une seule récolte quotidienne. Pour l'instant, seules les rares parcelles épargnées par le gel sont susceptibles d'être récoltées. Pour le reste, il faudra attendre que les plantations tardives finissent leur cycle biologique car, contrairement aux fellahs des Kraïmia, toujours enclins à sacrifier une grande partie de la récolte contre un prix très attractif, les autres fellahs préfèrent attendre la maturation complète des tubercules. La différence est que, chez les premiers, le rendement dépasse rarement les 200 quintaux tandis que chez les autres il peut atteindre et voire dépasser les 600 quintaux. Un pic que de nombreuses parcelles atteintes par le gel ne pourront jamais espérer. C'est dire si les rendements de cette année vont constituer l'autre grande inconnue de la campagne en cours.