Pierre Jacquemot revient, pour El Watan Week-end, sur la situation au Mali et ses éventuelles conséquences sur la région. - La junte militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT) est doublement défiée. Quelle sera l'issue de ce putsch? Cette junte se trouve actuellement dans une impasse, parce qu'elle ne dispose d'aucun relais auprès de la population, mis à part éventuellement quelques-uns uniquement par opportunisme. Elle est discréditée au niveau de la Cédéao (Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest, ndlr), voire menacée de sanctions de la part des pays voisins. Une sortie progressive de cette junte peut être envisagée, avec un véritable retour dans les casernes. Toutefois, il faudrait rappeler que s'il y a eu ce déploiement de la junte, c'est le résultat des échecs dans le Nord et l'incapacité du gouvernement malien à s'organiser devant AQMI et aussi depuis le renversement du pouvoir d'El Gueddafi, auprès duquel écumaient des milices armées. L'armée malienne est en mauvais état. L'état-major, lui-même est accusé de corruption, ce qui constitue un atout pour les rebelles. Autre problème auquel est confronté le Mali : le malaise social qui est devenu général. Tout le pays est en proie à une insécurité alimentaire. Enfin, comme tout Etat fragile, le Mali est soumis à toutes sortes d'influences telles qu'AQMI, bien sûr, mais aussi les divers trafics d'armes, de cocaïne qui viennent de la côte ouest de l'Afrique et qui traverse le Sahara en direction de l'Europe, d'où des convoitises qui suscitent des tensions.
- Concrètement, est-ce que la Cédéao a le pouvoir d'imposer que le pays revienne à l'ancienne Constitution, et donc que la junte se retire du pouvoir ? La Cédéao peut et doit jouer un rôle stratégique important, puisque c'est l'instance régionale la plus appropriée pour gérer ce genre de conflit. Le Mali fait également partie de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), mais, comme le nom de cette organisation l'indique, son rôle politique est très limité. De plus, l'UEMOA regroupe, en son sein, uniquement les Etats de la zone franc, ce qui n'est pas le cas de la Cédéao. Dans celle-ci, figurent des pays qui comptent comme le Nigeria, très peuplé, et surtout la Côte d'Ivoire, qui est en train de sortir d'une crise qui a failli l'emporter et qui, pour le cas précis du Mali, est appelée certainement à jouer un grand rôle dans la gestion de cette crise. Des personnalités d'envergure sont présentes, tel Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, qui se démène, depuis plus de 20 ans, à gérer les différents conflits régionaux, le dernier en date étant le conflit ivoirien. Ces personnalités vont œuvrer pour le retour du pouvoir aux civils, dans le but d'améliorer l'image écornée de cette région. La pression sera forte, en particulier venant de la Cédéao et va se traduire par des menaces d'embargo, entre autres. Enfin, il est fort probable qu'elle puisse tenter d'organiser une sortie honorable des mutins.
- Pensez-vous que les forces de sécurité maliennes ont collaboré avec les djihadistes (Ançar Eddine) pour anéantir le processus de reconquête de l'Azawad par la rébellion touareg laïque? Il est difficile de répondre directement, d'autant que la revendication de l'Azawad peut paraître totalement folklorique. Rappelons par-là le contexte même du Mali. Sa géographie, elle-même, est extrêmement difficile à gérer, en particulier avec ce triangle au nord, qui s'enfonce dans le Sahara, géographie héritée du découpage arbitraire colonial. Ainsi, la maîtrise de l'Etat devient difficile sur l'espace. Imaginons un instant qu'un Etat indépendant s'établisse dans cette zone. Il ne sera pas évident, il sera même impossible pour l'Azawad de le gérer avec une capitale en plein désert. Ce qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour la région. Pensons à ce qui pourrait arriver du côté du Niger, du Tchad, de la Mauritanie même. Et je ne parle même pas de l'Algérie, qui a âprement négocié le maintien de sa partie saharienne à Evian, il y a un peu plus de 50 ans jour pour jour. Pour essayer de répondre, il est clair que les forces de sécurité maliennes, telles que constituées, sont dans l'incapacité de collaborer avec qui que ce soit dans le but d'anéantir l'autre.