Le secrétaire d'Etat au Foreign Office, Jacques Straw, qui vient de séjourner en Algérie, a clairement laissé entendre, au cours de la brève conférence de presse animée à l'issue de sa visite, que l'extradition de Moumène Khalifa, l'ancien patron du groupe Khalifa, exilé à Londres, n'est pas envisagée à court terme. Cette déclaration tranche avec les propos tenus par le ministre de la Justice, M. Belaïz, qui avait annoncé, il y a quelques jours, que le dossier d'extradition de Khalifa est entré dans sa phase active, laissant supposer que ce dossier devrait connaître son épilogue sous peu. Des indiscrétions de la presse se basant sur des sources judiciaires proches de l'enquête avaient annoncé à plusieurs reprises que le procès de Khalifa se tiendrait au mois de mars. Les observateurs qui suivent ce dossier n'ont pas hésité à voir un lien naturel entre la visite de Jacques Straw et la demande d'extradition de Moumène Khalifa par l'Algérie. Certains avaient même spéculé sur le fait que l'ancien patron de Khalifa aurait servi de monnaie d'échange à la Grande-Bretagne pour gagner la sympathie et l'estime des autorités algériennes dans la perspective de traduire ce capital de confiance en opportunités d'affaires et d'investissements. Pure spéculation si l'on fait une lecture au premier degré des déclarations du secrétaire au Foreign Office qui a coupé court aux spéculations qui avaient circulé sur cette question à l'occasion de sa visite dans notre pays. Mais on sait pertinemment qu'en diplomatie comme en politique, il y a ce que l'on dit et ce que l'on fait. La Grande-Bretagne, qui possède des lois très strictes en matière d'extradition au nom du respect des droits de l'homme, comme on l'a vu dans l'affaire de l'extradition de Ramdane Bensaïd, auteur présumé des attentats parisiens de l'été 1996, qui avait nécessité une dizaine d'années pour être livré à la justice française, ne peut pas être suspecté de vouloir, pour on ne sait quel dessein, contrarier le cour de la justice algérienne sur le dossier Khalifa. Mais d'un autre côté, il y a lieu de s'interroger aussi dans quelle mesure le fait de voir repousser le délai d'extradition de Moumène Khalifa n'arrange pas quelque part les affaires du pouvoir, sachant que le procès Khalifa, c'est d'abord le procès du système et que des personnalités du sérail, dont certaines proches des cercles du pouvoir, sont citées comme ayant profité des largesses de Moumène Khalifa. En mettant sous le boisseau le dossier Khalifa, la Grande-Bretagne a d'une certaine manière rendu un service inestimable à tous ceux qui au sein du pouvoir pourraient être éclaboussés par ce scandale pour les prébendes qu'ils ont reçues de la main de Khalifa. Mais personne ne pourra jeter la pierre au pouvoir et l'accuser de bloquer ou de freiner la machine judiciaire pour protéger ses hommes dès lors que la décision d'extradition de Moumène Khalifa échappe aux pouvoirs publics et relève de la seule compétence de la justice britannique. Le pouvoir a, en effet, le beau rôle dans cette affaire. Il est très à l'aise pour prendre à témoin l'opinion nationale et ses partenaires étrangers qui lient le crédit de l'Algérie au traitement de ce dossier de corruption à vaste échelle quant à sa conviction d'avoir fait ce qu'il devait faire, c'est-à-dire actionner la justice et saisir Interpol. Le reste relève de la souveraineté de la justice britannique. Les victimes dans cette affaire ce sont toutes les personnes - et elles sont nombreuses - inculpées ou non et dont l'attente risque d'être longue avant de voir s'ouvrir le procès qui les réhabilitera ou les condamnera. Des personnes sont mises sous contrôle judiciaire, leurs passeports confisqués, d'autres sont convoquées par les juges au titre de témoins pour y être auditionnés. Des familles se sont disloquées par rapport à ce scandale. On sait que le seul fait d'être auditionné par un juge vaut dans notre culture populaire condamnation et bannissement de sa famille et de la société. Quand on est fragilisé et touché dans sa dignité, tout peut arriver. Des drames ne sont pas à exclure. C'est dire que les dommages collatéraux causés par l'affaire Khalifa sont autrement plus lourds à porter par les personnes impliquées à tort ou à raison dans ce scandale ainsi que pour leurs familles. Plus tôt le procès s'ouvrira, en présence bien évidemment du premier concerné, Moumène Khalifa, mieux s'en portera l'Algérie qui gagnerait à extirper cette tumeur qui risque de métastaser si le mal n'est pas rapidement diagnostiqué et pris en charge à l'aide d'un traitement approprié, loin des règlements de comptes. Car tel que le dossier est géré avec les fuites (organisées ?) des personnes dont les noms sont cités dans la presse et qui ne constituent qu'une goutte dans l'océan de l'affaire Khalifa, on a comme l'impression que le procès Khalifa en cache un autre.