La visite de Jack Straw jeudi à l'hôtel El- Djazaïr, ex-Saint George, a valeur de pèlerinage. Dans cet établissement, une chambre est dédiée à la mémoire du premier ministre Winston Churchill qui l'avait occupé lors du débarquement allié en 1942. Plus d'un demi-siècle plus tard, le patron du foreign office du gouvernement de Tony Blair réveille ce souvenir, avec la modeste ambition de faire de son propre passage une halte importante dans les relations algéro-britanniques. Il a exprimé cette intention à l'issue de son entretien avec le président Abdelaziz Bouteflika et au cours de la conférence de presse qu'il a animée dans la journée à l'hôtel El-Djazaïr en compagnie de son homologue Mohamed Bedjaoui. Assurant être “chargé d'œuvrer à renforcer et à approfondir les relations bilatérales entre l'Algérie et le Royaume-Uni”, Jack Straw justifie cette dynamique “en constante évolution” par l'existence “d'un grand potentiel pour le développement des relations commerciales” et de “possibilités d'investissement”. Outre son cachet économique, cette coopération déborde sur les chapitres politique et judiciaire. Comme Washington, Londres a vécu son expérience du terrorisme, l'amenant à comprendre les besoins de pays, qui à l'instar de l'Algérie, étaient excommuniés et abandonnés pendant longtemps dans leur guerre contre les groupes armés. Le gouvernement de Sa Majesté poussait l'outrecuidance jusqu'à donner refuge à des activistes de l'ex-FIS. Cette indulgence manifestée durant un peu plus d'une décennie tranche avec la fermeté qui accompagne aujourd'hui les actions de lutte contre le terrorisme dans le royaume, depuis les attentats de Londres en juillet 2005. Le gouvernement Blair ne tolère plus les islamistes sur son sol et serait prêt à les renvoyer chez eux. Mais quand ? Dans le cas de l'Algérie, la Grande-Bretagne a de tout temps prétexté l'absence d'accords d'extradition. Il y a quelques mois, les officiels des deux pays ont annoncé la négociation de cette convention. À la faveur de son séjour à Alger, le locataire du Foreign Office révèle que “beaucoup de progrès ont été accomplis” et a souhaité que cette convention soit conclue “le plus tôt possible”. Cependant, le pacte ne serait pas le seul critère qui sera pris en compte dans la livraison des islamistes à la justice algérienne. Avant de les renvoyer vers leur pays, les autorités britanniques veulent d'abord obtenir certaines assurances liées au respect des droits de l'homme. Kim Howells, ministre délégué des affaires étrangères, chargé de l'Afrique du nord et du Moyen-Orient, en visite à Alger en juillet 2005, avait explicité ses conditions. Pour sa part, M. Straw n'en n'a soufflé mot. Faisant carrément l'impasse sur la coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme, il a, en revanche, évoqué le dossier Khalifa, mais en des termes très vagues. En réponse à une question sur la livraison de l'ancien golden boy, patron de l'empire du même nom, le chef de la diplomatie britannique souligne que son pays “comprend le souci exprimé par les autorités algériennes concernant cette personne”. Pour autant, il soutient que sa délivrance à l'Algérie “ne dépend pas uniquement de la signature d'un traité d'extradition entre les deux pays”. Selon lui, deux paramètres sont à prendre en compte dans cette procédure : les lois du royaume et ses engagements internationaux sans lesquels “il est impossible” d'autoriser la livraison de l'ex-milliardaire, ciblé par un mandant d'arrêt d'Interpol. M. Straw note qu'il a eu à prendre en charge l'affaire Khalifa quand il était ministre de l'intérieur. “Il y a une coopération judiciaire qu'il faut poursuivre”, fait-il observer. À cet égard, il annonce le déplacement prochainement dans son pays d'une délégation de magistrats algériens pour y rencontrer leurs homologues britanniques. Son enthousiasme le pousse également à exhorter ses concitoyens à se rendre chez nous en touristes. “Nous veillerons à l'avenir, pour qu'il y ait beaucoup plus de Britanniques qui viennent passer du bon temps en Algérie”, promet-il. Dans cette perspective, le gouvernement Blair fait valoir sa confiance en décidant la réouverture de son centre culturel, the british Council, à Alger, ainsi que la construction d'un nouveau siège pour son ambassade. Le retour progressif à la paix est doublé chez M. Straw d'une admiration du “travail accompli par le président Bouteflika pour faire de l'Algérie un pays démocratique qui respecte l'Etat de droit” ainsi que “des reformes engagées pour — lui — permettre d'avoir une économie de marché”. Cet éloge tranche avec ses réprimandes en direction de l'Iran. De son avis, il y a des doutes que Téhéran “tente d'utiliser son programme nucléaire pour la fabrication d'armes nucléaires”. À ce propos, il fait état de “l'existence de preuves claires que l'Iran ne respecte pas ses engagements et ses obligations vis-à-vis du traité de non-prolifération nucléaire”. Interpellé sur une seconde question d'ordre international, en l'occurrence le conflit du Sahara occidental, le ministre britannique s'est contenté d'affirmer que son pays “soutient une solution dans le cadre du plan de paix des Nations unies”. Figurant désormais parmi les sujets brûlants de l'actualité internationale, l'affaire des caricatures blasphématoires contre le prophète a également suscité un commentaire de M. Straw. “Je crois à la liberté d'expression que je respecte, mais nous ne pouvons pas accepter ce qui a été fait au Danemark”, épilogue-t-il. Qualifiant les dessins de “maladroits” et d'irrespectueux, il pense que s'ils avaient ciblé le Christ ou la Vierge Marie, ils auraient provoqué également la colère des chrétiens. L'émissaire de Tony Blair a joint le geste à la parole en matière de tolérance en se rendant en milieu d'après-midi à la Grande-Mosquée d'Alger où il a été accueilli par Bouabdellah Ghoulamallah, ministre des affaires religieuses. Samia Lokmane