Cap sur Timiaouine dans l'Adrar (wilaya), porte est du Tanezrouft, la plus grande immensité désertique du monde. Six cents kilomètres de désert absolu, du nord au sud, à cheval entre l'Algérie et le Mali. «N'y allez pas, nous enjoint un officier du DRS en poste à Tinzaouatine, je vous le déconseille vivement. La route n'est pas sûre.» Le chef de brigade de la gendarmerie est du même avis, tout indisposé par la présence encombrante de journalistes. La piste rocailleuse, longeant la bande frontalière avec le Mali sur plus de 180 km de regs et oueds peuplés de campements nomades, serait, d'après les services de sécurité, un véritable coupe-gorge, elle infestée de trafiquants, contrebandiers, coupeurs de route et autres groupuscules terroristes ; AQMI et ses filiales présumées Ançar Eddine et Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest seraient établies dans ce ventre mou du Sahara, notamment dans la région inaccessible du Taoudéni au Mali , frontalière avec l'Algérie et la Mauritanie. Mais qu'à cela ne tienne ! Timimoun et Bordj Badji Mokhtar, au nord-ouest de Tinzaouatine, sont en première ligne. Les deux «communes» font face, depuis le déclenchement du conflit azawad, à des flux importants de réfugiés, touareg maliens notamment. Officiellement, ils sont plus de 30 000, parqués dans des camps au nord-ouest de Tinzaouatine, à Bordj Badji Mokhtar et à Timiaouine. L'armée aussi envoie des bataillons en «renforts». D'après une source au fait de la situation sécuritaire sur place, 14 000 militaires renforceront, dans les semaines qui viennent, le dispositif, très discret, déjà en place. Le maire de Timiaouine, Yahia Baâyaoui, rencontré dans la brousse de Tawendert, village touareg, à 90 km de sa municipalité désertique, se fait un sang d'encre. Et pour cause, en un mois et demi, la population de la commune (8000 habitants – dont 60% de Touareg nomades, qui fuient de plus en plus le «village», ndlr), a presque doublé. A cette intempestive explosion démographique, s'ajoute la montée de l'insécurité et des vols de véhicules 4x4 appartenant notamment à des particuliers et des sociétés comme Hydro technique ont été signalés. Mise out, l'Assemblée communale n'a aucune emprise sur la gestion locale des événements. Le dossier des réfugiés est piloté conjointement par les départements de l'Intérieur et de la Défense. Timiaouine manque de tout : vivres, couverture médicale, peu de médicaments, mais aussi et surtout d'eau, dont la consommation a atteint des pics et suffit à peine à couvrir les besoins domestiques de la commune. 14 000 militaires au «front» du Mali Le camp de réfugiés, érigé sur un plateau à la sortie nord de la commune, égraine des chapelets de souffrances. De Gao, Tombouctou, Ménaka, Tessalit, Aguelhok, etc., des réfugiés arrivent presque chaque jour, bravant l'immensité saharienne. Le camp, nouvellement créé, abrite 328 familles de réfugiés, transférées (pour des raisons de sécurité ?) par camions du camp saturé de Bordj Badji Mokhtar, distant de Timiaouine de plus d'une centaine de kilomètres. Ce sont 62 tentes, entourées de grillage, gardées par des gendarmes. Le gros des réfugiés est laissé en rade, dans la nature, établi en dehors du camp. Plus de 300 familles, selon une source locale. Les autorités refusent leur admission dans le camp. L'armée a par ailleurs refusé l'établissement d'un autre camp, au nord de Bordj, à PK 50, plus exactement. De l'autre côté de la frontière, Khalil, un camp de réfugiés à qui l'Algérie refuse l'accès, est établi sauvagement. Les récits des rescapés du camp sont terrifiants. Plus de 1000 personnes sont établies à Kalil. A l'intérieur du camp de Timiaouine, seul l'instinct de survie anime les réfugiés. Aita Mohamed, agent de santé malien, regrette presque de ne pouvoir retourner au Mali. «Certes, dit-il, nous avons été accueillis comme des frères, par des frères, mais nous sommes comme des prisonniers. Certains d'entre nous veulent même retourner au Mali, tellement les conditions de vie sont insupportables.» La couverture sanitaire laisse à désirer. Un seul médecin pour une population totale de 15 000 habitants, entre nouveaux arrivants et anciens réfugiés. Dix femmes enceintes, sans gynéco à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde ; 200 enfants souffrant de malnutrition (pas de lait pour nourrissons), de céphalées, de conjonctivite, de diarrhées sévères, etc. Déjà, deux décès ont été enregistrés dans le camp : un bébé de 7 mois, mort d'une céphalée sévère et une jeune fille de 22 ans, de malnutrition. Tout est rationné ici bas, dans cette antichambre de l'enfer. Une famille de dix membres reçoit du comité local du Croissant-Rouge 8 kilogrammes de vivres chaque semaine, soit 80 grammes de pâtes ou de légumes secs. Les aides arrivent, mais très peu à destination. Nombre de réfugiés demandent carrément l'intervention d'ONG. «Dites au monde ce que nous endurons, supplie Aita Ag Mohamed, rapportez ce que vous avez vu, ce que nous endurons !»