Les médias publics et les observateurs politiques connus pour leur proximité avec le pouvoir se sont empressés de voir dans le taux de participation officiel de 42,90% au scrutin législatif du jeudi 10 mai l'expression d'un vote massif qui a contredit les pronostics pessimistes et défaitistes sur lesquels avaient parié les partisans du boycott et tous ceux qui ne se reconnaissaient pas dans la démarche politique et les réformes proclamées du pouvoir et qui l'ont fait savoir autrement. Par le vote blanc ou nul ou encore par un vote de pis-aller ou vote-sanction qui ne reflètent pas un choix de conviction mais un cri du cœur et de détresse. Les commentateurs bien inspirés qui ont simulé leur joie, hier à l'annonce du taux de participation, avaient à leur crédit un argument de poids pour appuyer leur analyse. On rappela volontiers que le taux de participation à l'élection législative de 2007 avait frôlé péniblement la barre des 37%. Vrai. Sauf que le parallèle n'a pas lieu d'être fait entre les deux scrutins qui se sont déroulés dans des conjonctures nationale, régionale et internationale qui n'ont rien de commun. Des voix se sont déjà élevées, à l'instar du RCD, pour dénoncer la fraude situant le niveau de participation à seulement 17%. Une analyse statistique, froide, des résultats ne peut pas ignorer ou occulter que le taux de participation au scrutin de jeudi dernier a évolué par rapport à celui de 2007. La courbe a progressé de 5%. Ce qui, est-il besoin de le souligner, est important dans un Etat démocratique normalement constitué. Dans le contexte particulier de l'Algérie d'aujourd'hui, si une comparaison doit être faite avec un réel souci d'objectivité et d'honnêteté politique, ce n'est pas en allant chercher des agrégats d'analyses dans un taux de participation antérieur dont le pouvoir n'avait pas rougi à l'époque – bien au contraire – et dont on reconnaît paradoxalement aujourd'hui que le résultat n'était pas aussi flatteur qu'on ne l'avait présenté à l'époque. Soustraits de leurs contextes, les chiffres ne peuvent pas rendre compte objectivement de la réalité des choses. Après les efforts de mobilisation sans précédent qui ont caractérisé cette campagne pour inciter les Algériens à voter massivement à travers une campagne électorale dans laquelle le pouvoir et ses différents relais politico-médiatiques et associatifs, avec à sa tête le président de la République, a mis tout son poids pour booster la participation, l'exploitation du sentiment légitime de la peur et de la menace de la dislocation du pays en agitant le spectre du chaos qui a marqué les expériences des pays de la région ; tout cela faisait que l'on avait beaucoup parié, du côté du pouvoir, sur un sursaut national, sur l'avènement d'un autre Novembre 1954. Le président Bouteflika n'aurait jamais engagé sa responsabilité personnelle et son crédit s'il avait un seul doute que ses appels répétés pour faire du 10 mai un jour «historique» n'allaient pas être largement entendus et suivis. Il savait qu'il jouait gros et que le plébiscite recherché s'accommoderait mal d'une participation électorale à la Pyrrhus. Force est de constater que c'est bien dans ce cas de figure que l'on se trouve, si l'on en juge par ce taux de participation, certes honorable dans l'absolu mais, il faut bien l'admettre, bien en deçà des attentes et des espérances du pouvoir qui n'est pas parvenu, malgré tout, à atteindre la barre psychologique et politique de 50% de participation. Lors de l'élection présidentielle de 1995 qui avait porté Zeroual au pouvoir, les Algériens avaient fait la démonstration éclatante que, contrairement à l'idée largement répandue selon laquelle le peuple algérien ne vote pas, ils avaient, au contraire, la culture politique et un sens élevé de l'intérêt national en élisant le président de la République avec près de 90% des voix dans un scrutin libre. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné cette fois-ci pour enclencher une dynamique semblable ? Qu'a-t-on cherché à travers cette forte abstention qui s'ajoute au chiffre élevé des bulletins nuls – plus de 1,5 million – qui est une autre forme de rejet du scrutin et de ses acteurs ? Les partis en lice ? La démarche politique des réformes du président de la République ? Le bilan du gouvernement qui se confond avec celui de Bouteflika dans la mesure où c'est son programme qui est adoubé par l'Exécutif ? Face au péril extérieur dont on dit qu'il menace fortement le pays, la logique, le bon sens le plus élémentaire, l'instinct de survie le plus grégaire voudraient que les Algériens, qui semblent échaudés et se détourner de la solution du changement par la rue et la violence adoptée par les pays arabes, se retrouvent naturellement dans une espèce d'union sacrée, une forme de référendum qui laisserait peu de place aux indécis et aux abstentionnistes. En chiffres et politiquement parlant, la voix des abstentionnistes aura été plus retentissante que celle des votants.