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Lila Borsali. Chanteuse andalouse : «Sans enrichissement, on risque de perdre le patrimoine andalou»
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Publié dans El Watan le 17 - 05 - 2012

Lila Borsali vient sortir un nouvel album, une nouba Rasd Dhil. C'est le rêve de cette jeune interprète de musique arabo-andalouse. A Tlemcen, elle a appris le jeu d'instruments et le chant avec des maîtres tels que Bekkaï, Fawzi Kelfat. A Paris, où elle s'installe pour quelques années, elle perfectionne le jeu de la kouira aidée par Abdekkrim Bensid. Elle améliore ses techniques de chant avec Yahia Ghoul et Amine Mesli. Elle a produit déjà deux albums où l'ont peut trouver les empreintes des écoles d'Alger et de Tlemcen.
-Comment vous est venue cette grande passion pour l'art musical arabo-andalou ?
Je suis issue d'une famille où la musique andalouse est très présente. Une famille de mélomanes. J'ai intégré au début des années 1990 l'Association Ahbab Cheikh Larbi Bensari ici à Tlemcen. En 1994, j'ai enregistré un CD avec cette association dans lequel j'ai interprété un insraf en mode Zidane (Ya ghazal dabyu el hima). A l'époque, je devais avoir 16 ans. Je suis partie ensuite en France. A Paris, j'ai contribué à la fondation de l'Association Les airs andalous qui représentait l'école de Tlemcen. Je suis restée seize ans. Là, je suis revenue au pays. Je suis actuellement installée à Alger. En 2009, j'ai rejoint l'Association Les beaux-arts dirigée par Abdelhadi
Boukoura. J'ai participé avec cette association à plusieurs concerts.
-Votre premier album remonte à deux ans…
Absolument ! Cet album, Fraq lahbab, dans le genre hawzi, date de deux ans et demi. Fin avril, mon deuxième album est sorti au niveau national. Il s'agit d'un Nouba Rasd Dhil. La nouba, je veux en faire ma spécialité. Rasd Dhil, c'est du moual, un mode que j'affectionne particulièrement. J'ai trouvé des morceaux peu ou pas interprétés. Je fais de la recherche. Je n'aime pas rechanter ce qui est déjà interprété. Certains sont inédits, même si je n'aime pas ce mot. Notre patrimoine est tellement riche et large qu'il serait dommage de mettre en avant les mêmes chansons. Dans mon premier album Nouba, je voulais faire quelque chose qui me ressemble.
-Comment avez-vous procédé pour la recherche ? Le domaine arabo-andalou est encore peu exploré dans le patrimoine...
C'est un travail d'équipe. Beaucoup de personnes m'ont aidé, dont Salim El Hassar qui, d'ailleurs, vient de sortir un livre sur les textes chantés dans la nouba. Il y aussi tous les chefs d'orchestre qui m'ont suivie depuis le début. Je suis allée vers les aînés leur demander conseil. J'ai pu récupérer plusieurs enregistrements, faire des comparaisons et en tirer mon propre produit. Un produit qui me ressemble dans l'interprétation parce qu'il ne s'agit pas de créer une mélodie.
-Et vous restez fidèle aux mélodies d'origine ou faites-vous des variations ?
Pour l'instant, non. Parce que nous n'avons pas terminé toutes les mélodies qui existent dans le patrimoine. C'est dommage. Il faut donc s'intéresser davantage à ces mélodies, leur donner un vrai sens musical. Après, il faut ajouter des compositions. Au début du XXe siècle, des mélodies ont été rajoutées à la Nouba. Donc, je ne vois pas pourquoi on refuse de le faire aujourd'hui. Il faut chanter ce qui existe et compléter ce que nous avons perdu.
-Donc, les puristes refusent le changement, c'est cela ?
Je suis moi-même puriste. Je veux toujours être fidèle aux mélodies qui existent déjà. Il faut qu'il ait introduction. C'est une manière d'enrichir. Sans enrichissement, on risque de perdre le patrimoine (…). J'ai la chance de travailler avec l'Orchestre régional de Tlemcen, composé de musiciens de talent. C'est très plaisant pour un interprète de travailler avec des musiciens de cette qualité. Le chef d'orchestre est jeune et dynamique. On est dans la même démarche artistique. Depuis deux ans, j'ai beaucoup travaillé avec cet orchestre.
-Vous êtes de Tlemcen, si nous vous parlions de Cheikha Tetma, cela vous évoque quoi ?
Cheikha Tetma symbolise pour moi le combat. Elle était une femme battante qui s'est imposée dans un milieu à un moment donné exclusivement masculin. A l'époque, la présence d'une femme dans un orchestre de chant était mal vue. Cette musique se pratiquait notamment dans les cafés. Ce n'était pas le milieu des femmes à cette période.
Je trouve que Tetma avait été d'un courage extraordinaire. Grâce elle, des filles ont pu faire de la musique après sa mort. Cela dit, à l'époque andalouse, des femmes chantaient dans les palais et des poétesses déclamaient des poèmes. Donc, la musique n'a jamais été étrangère dans le milieu féminin. Même dans un cadre conservateur, la musique existait. Tetma avait montré la voie.
-Peut-on considérer les Beihdja Rahal, Zakia Kara Torki, Meriem Benallal, Lamia Madini, Rym Hakiki et vous-même comme les descendantes de Tetma, Mâalma Yamna, Meriem Fekkaï… ?
Cheikha Tetma avait vécu la musique à l'époque qui n'est plus la mienne. Il serait prétentieux de ma part de dire que j'assure la relève. Il me faut encore plusieurs années de travail et d'expérience. Je pense qu'il faut vivre la musique avec son temps. Je ne peux pas dire que je suis la descendante de Cheikha Tetma, mais elle reste un modèle pour moi…


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