Ce n'est pas tous les jours que naît sur terre un monument humain. Fatalement, il n'en meurt pas tous les jours. Mardi dernier, Ray Bradbury est mort. Il avait 91 ans. Il était, au début du siècle dernier, un des pionniers de la science-fiction. Il laisse, dit-on, environ 500 œuvres entre romans, nouvelles, pièces de théâtres, recueils de poèmes, récits. Une œuvre colossale. Plus de vingt de ses livres ont été adaptés à l'écran : longs métrages, moyens présentés par Alfred Hitchcock, épisodes de The Twilight Zone, etc. Des centaines de millions de personnes les ont vus sans savoir même que Ray Bradbury existait. Né au cœur de l'Illinois dans une famille modeste, cet Américain a passé sa vie à imaginer des histoires fantastiques. Toutes, d'une manière ou d'une autre, puisaient dans un profond humanisme, un dégoût de l'injustice et un regard libre et attentif sur le monde. Interviewé, une année après les attentats du 11 septembre 2001, il en dénonçait le caractère terroriste mais ajoutait : «Pourtant, je trouve que cet événement tragique n'a pas véritablement servi de leçon à nos dirigeants. (…). Nous n'avons rien fait. Nous avons même choisi de reconnaître Israël plutôt que la Palestine. Nous avons préféré tenir compte de nos intérêts et des leaders en place au lieu de nous occuper des hommes. C'est de cette manière que j'explique le cataclysme du 11 septembre.» Rien de bien étonnant chez cet être qui, sans aimer la provocation, ne mâchait jamais ses mots. Il avait écrit : «Tout ce qui sort un peu de l'ordinaire est détestable pour l'Américain moyen». C'était dans son fameux roman, Chroniques martiennes (1950). Mais son œuvre la plus marquante est bien Fahrenheit 451 (1953) adaptée au cinéma par François Truffaut en 1966. Frank Darabont, réalisateur de La Ligne verte, en fait une nouvelle adaptation cette année. Dans son livre, Bradbury décrit un monde où les pompiers son chargés de brûler les livres et où le fait de lire est considéré comme un crime. Le titre désigne le degré de température entraînant la combustion du papier (233° environ). Il fait six ou sept fois moins chaud à Alger mais, dans notre fournaise humide, apprendre que l'arrêt d'expulsion du gérant de la Librairie des Beaux-arts a été finalement exécuté, fait descendre la température culturelle de plusieurs degrés. Que dire ? Comme les Romains : dura lex, sed lex, la loi est dure, mais c'est la loi ? Nous préférons, en Algérien, nous adresser aux propriétaires en leur disant sincèrement : que votre bien vous profite et qu'il profite au Bien. Faites tout pour garder la librairie, garder ce lieu de culture, de plus en plus rare, ce repère dans la ville, cette enseigne si belle. Et gagnez la reconnaissance de dizaines de milliers de nos compatriotes qui, sur plusieurs générations, y sont entrés un jour pour le savoir, la science, la découverte et le plaisir. Loin de Fahrenheit 451 !