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Prochaine bataille après assainissement des fondamentaux macroéconomiques Lancer la croissance de l'économie algérienne par la performance de ses entreprises
Nous tentons dans cette réflexion d'établir un diagnostic de l'économie algérienne afin de cerner les atouts sur lesquels elle peut s'appuyer et les points de fragilité à renforcer, avant de proposer différents axes d'action. Les axes de réflexion proposés dans cet article restent volontairement focalisés sur l'univers microéconomique de l'entreprise qui, à notre avis, est un moteur fondamental pour la relance de la croissance. La relance de la dynamique des entreprises est la prochaine bataille à mener après l'assainissement des fondamentaux macroéconomiques. Toutefois, même si cet article ne le traite pas, il faut souligner l'importance des réformes profondes à mener sur le plan juridique afin d'alléger les lourdeurs bureaucratiques souvent citées comme un des freins principaux à l'investissement en Algérie. L'analyse rapide du contexte économique algérien en comparaison à ceux des pays similaires révèle que cette économie a deux réels atouts : une main d'œuvre qualifiée sur le plan technique du moins et à faible coût ; une amélioration nette et structurelle des fondamentaux macroéconomiques lui donnant ainsi des marges de manœuvre précieuses en termes de politique économique. Toutefois, trois principaux freins doivent être levés pour lancer la mécanique de la croissance : la fragilité du tissu économique composé de petites entreprises, avec des modes de management qui devront évoluer vite ; la faible attractivité du climat des affaires algérien ; la faible diversification de l'économie et sa dépendance à l'égard hydrocarbures. Commençons par examiner les atouts du tissu économique algérien. L'existence d'une main d'œuvre qualifiée en Algérie représente sans doute un de ses atouts les plus importants. L'Algérie dispose, en effet, d'une main d'œuvre qualifiée sur le plan technique (ingénieurs, techniciens, informaticiens...) dont le coût reste faible : 25 villes universitaires et plusieurs dizaines d'instituts de technologie fréquentés par près de 600 000 étudiants. Ces chiffres sont en progression régulière. La population active ayant un niveau d'études supérieures en Algérie dépassait un million personnes en 2000, soit environ 14% de la population active. La mise en perspective de ces chiffres par rapport à ceux de pays comparables à l'Europe centrale et au Maghreb démontre que la performance de l'Algérie se situe dans la bonne moyenne de ce panel de pays. De plus, cette main d'œuvre jouit d'une aisance dans la langue française lui procurant un avantage par rapport aux pays d'Europe centrale pour attirer les investisseurs francophones. A cette qualité s'ajoute le faible coût de la main d'œuvre. Le coût horaire en Algérie (moins de 1 dollar US par heure) est nettement plus compétitif que celui pratiqué au sein de l'Union européenne (15 à 20 fois inférieur) et reste même inférieur à ceux des pays d'Europe de l'Est. L'extension de cette analyse comparative à la Chine révèle un enseignement surprenant. En effet, si l'écart par rapport à la Chine reste en faveur de cette dernière, pour les catégories de personnel les moins qualifiées, pour la main d'œuvre qualifiée « top ou middle management », l'écart est à l'avantage de l'Algérie. En Chine, la raréfaction des profils d'encadrement, suite aux investissements élevés, a conduit à une tension sur le marché de l'emploi sur cette catégorie et donc à une augmentation des salaires. Le deuxième atout de l'économie algérienne est l'amélioration continue et structurelle de ses fondamentaux macroéconomiques. En effet, à partir de 1999-2000 on peut noter que l'encours de la dette extérieure a baissé, passant de 32 milliards de dollars US en 1994 à 17,8 milliards de dollars en septembre 2005 ; les réserves de changes ont régulièrement augmenté et ont atteint 51,7 milliards de dollars à fin septembre 2005 contre 4 en 1999, soit plus de 2,5 ans d'exportations ; le déficit budgétaire est resté sous contrôle ; l'inflation est maîtrisée à 2,5% en 2003. Le taux de croissance économique s'est amélioré pour atteindre 5,2% en 2004. De plus, un important plan de relance de 55 milliards de dollars sur la période 2005-2009 a été adopté et devrait être lancé fin 2005. Ce plan est un signal fort vis-à-vis des investisseurs étrangers et permettrait de maintenir la croissance à un rythme soutenu. Face à ces atouts, nous avons identifié trois points de fragilité, qui devront être renforcés. Premièrement, l'économie algérienne est fortement dépendante à l'égard des hydrocarbures. Depuis 1977, la part des hydrocarbures dans les exportations totales du pays a été en moyenne de 97% et dépasse un tiers du PIB depuis 1996. Dans le contexte actuel marqué par des prix élevés du brut, et qui devraient le rester durablement d'après les experts, les liquidités dont dispose l'Algérie devraient continuer à s'accroître. Cette période, financièrement favorable, devra être utilisée pour mener des réformes structurelles profondes, qui doivent toucher en priorité l'entreprise, et préparer l'après-pétrole, qui mal préparé priverait le pays du tiers de sa richesse. Le deuxième facteur de fragilité de l'économie algérienne est la qualité de son tissu d'entreprises. L'analyse comparative de la structure du PIB et de la taille des cinquante premières sociétés algériennes à celle des pays voisins révèle deux enseignements : le manque de sociétés de services et notamment les services à forte valeur ajoutée ; la modestie de la taille des sociétés algériennes en moyenne comparée à celles des pays voisins. Parmi les pays analysés, c'est en Algérie que les 50 premières entreprises (hors Sonatrach) représentent le plus faible chiffre d'affaires cumulé par rapport aux pays voisins : 7 milliards de dollars contre 17 milliards pour le Maroc, 10 pour l'Egypte et 7 pour la Tunisie. Dans un contexte de concurrence mondiale ou du moins régionale, cette fragmentation est porteuse de fragilité. La taille des entreprises est déterminante pour avoir des coûts de production compétitifs, accéder au financement à moindres coûts, mettre en place des plans de développement ambitieux. Le troisième facteur de fragilité de l'économie algérienne est son climat des affaires peu attractif. L'économie algérienne n'a pu bénéficier à ce jour d'investissements directs étrangers significatifs en dehors du secteur des hydrocarbures et des télécoms. Le climat des affaires en Algérie a été quantitativement évalué par un bureau international d'études. Les résultats sont sans équivoque : l'attractivité de l'Algérie est classée 57e sur 60 au niveau global et 5e sur 7 au niveau régional (Algérie, Egypte, Iran, Israël, Nigeria, Arabie Saoudite, Afrique du Sud). Ce sont les barrières liées aux pratiques commerciales et administratives qui peuvent décourager l'investissement. Une enquête réalisée conjointement par la Banque mondiale et l'Office national des statistiques en 2002 sur un échantillon de 536 entreprises algériennes a recensé quelques principaux obstacles à l'investissement dont des difficultés d'accès au financement bancaire, des barrières administratives très contraignantes, un accès limité à l'information, un marché du travail rigide, une infrastructure inadéquate, un système juridique et judiciaire inefficace. Au regard de ce diagnostic, le programme visant à redresser l'économie et à lui donner un élan de prospérité doit se mener sur deux fronts indissociables : construire un tissu économique efficace et l'ancrer dans l'économie mondiale afin de profiter de ses atouts. L'efficacité de l'économie algérienne est tributaire de la construction de trois prérequis critiques à tout développement : la construction d'un système de financement efficient ; la consolidation d'un tissu d'entreprises compétitives, et ce en termes de produits et services proposés, d'outils de gestion (systèmes d'informations, modalités de management) et de solidité financière ; la constitution d'un vivier de managers capables de mener le paquebot (RH, éducation). Quant à l'ancrage dans l'économie mondiale, il pourrait se faire via deux stratégies : favoriser l'apparition de quelques champions locaux permettant d'exploiter au mieux les avantages compétitifs de l'Algérie dans quelques secteurs porteurs ; devenir un pôle attractif d'investissements dans la région, en attirant les investissements stratégiques comme les sièges régionaux de groupes mondiaux. Axe 1 : construire un système de financement efficient Le premier volet de cet axe concerne la construction d'un système bancaire efficient à travers la modernisation des systèmes d'informations et l'émergence de banques solides grâce à des coopérations capitalistiques et/ou techniques avec des leaders mondiaux pour assurer la montée en compétences locales. Cette stratégie de consolidation du secteur bancaire doit faire apparaître plusieurs grandes banques afin de ne pas rendre dépendante la santé du secteur d'une ou deux banques ; maîtriser la politique de crédits accordés par les banques en se dotant d'un système de scoring (notation). La non-maîtrise de la politique de crédits est un des premiers risques qui guettent les économies en décollage (cf. enseignements tirés des pays asiatiques). Le deuxième volet de cet axe, quant à lui, concerne la construction d'un véritable système de financement de projets et d'accès au capital proche des lieux de la recherche et du développement, pour lancer le moteur de l'innovation. Différents mécanismes peuvent être envisagés. Aujourd'hui, le système d'une bourse de capitaux semble être prématuré pour un pays comme l'Algérie. Le financement bancaire reste bien sûr le premier levier, mais des instruments de financement de projets du type fonds de capital risque doivent être développés et nécessairement complétés par des dispositifs de coaching tels que les incubateurs pour s'assurer de l'aboutissement des projets. Axe 2 : modernisation du tissu économique Le tissu économique algérien se caractérise par une très forte fragmentation. En effet, en dehors de l'industrie de l'énergie et de quelques fonctions régaliennes, on note peu de champions régionaux i.e. des sociétés capables de jouer un rôle de premier ordre dans le paysage concurrentiel régional. D'autre part, l'Algérie ambitionne de rejoindre des espaces économiques ouverts, comme par exemple l'OMC, et de baisser ses barrières douanières vis-à-vis de la communauté européenne. De telles intégrations mettront les entreprises locales en concurrence frontale avec des firmes beaucoup plus performantes. Plusieurs défis attendent donc ces sociétés : faire face à une concurrence accrue et sophistiquée ; faire face à une complexification de l'offre et des besoins des clients ; faire face à des sociétés multinationales puissantes avec des coûts optimisés. Les mouvements récents dans le secteur de la téléphonie mobile sont riches d'enseignements sur ces points. Pour faire face à ces défis les entreprises locales doivent rattraper et améliorer leur culture managériale autour de 3 axes principaux : renforcement et professionnalisation des fonctions commerciales/marketing ; utilisation des leviers technologiques ; généralisation des cycles de formation. Axe 3 : développement des champions régionaux dans des secteurs porteurs Le développement du tissu économique doit encourager l'esprit entrepreneurial certes, mais ne doit pas conduire à un tissu industriel diffus. Quelques segments stratégiques doivent être sélectionnés pour favoriser l'apparition de champions régionaux capables de jouer un rôle de leadership au niveau de l'Afrique du Nord. Parmi les secteurs dans lesquels ces champions pourraient apparaître - les hydrocarbures étant exclus de l'analyse pour des raisons évidentes - on peut citer : le secteur bancaire, clé de voûte du système économique ; le secteur de la haute technologie grâce à la main d'œuvre qualifiée et à bas coûts dont dispose le pays. Cette industrie d'avenir sera un des secteurs attractifs des IDE pour la sous-traitance off-shore (call centers, plateformes de développement informatiques...) - l'Inde est une illustration éclatante de l'apport d'un tel secteur pour le développement - ; le secteur du transport pour profiter du rôle stratégique de porte d'entrée vers l'Afrique. Cette liste n'est pas exhaustive, d'autres secteurs pourraient bien sûr être envisagés pour tirer avantage de nos ressources (sous-traitance automobile). Le développement de ces champions régionaux ne doit pas se faire nécessairement par la création de sociétés étatiques, mais plutôt en favorisant le développement de quelques sociétés qui existent et qui ont déjà des bases saines de business via l'octroi de contrats/chantiers importants et en les aidant à nouer des partenariats avec des sociétés étrangères. Axe 4 : développement humain Ce dernier axe est la condition sine qua non pour la réussite de ce projet. Aujourd'hui, l'Algérie peut se vanter d'un réseau important d'universités et d'instituts, qui lui permettent d'afficher un nombre relativement important de diplômés universitaires. La qualité de cet enseignement qui est probablement à la pointe pour l'enseignement technique reste en retard pour l'enseignement de la gestion. Par exemple, aux écoles centrale et polytechnique, deux des grandes écoles françaises où se forment les futurs managers français, l'enseignement de la gestion et des matières d'ouverture et d'initiation à la vie professionnelle représente une part significative du temps d'enseignement. Ce ratio est très loin des standards des universités algériennes, qui forment probablement d'excellents ingénieurs mais dont les qualités managériales restent à parfaire. Pour remédier à cela quelques principes fondamentaux sont à intégrer dans la construction des cursus universitaires : revaloriser l'enseignement de la gestion et lui redonner une place de choix dans le programme d'enseignement des universités et des écoles algériennes ; remettre l'accent sur la « pratique » via les stages et les projets en équipe afin de préparer les étudiants à la vie professionnelle ; développer l'enseignement des langues qui à défaut pourrait être un frein pour tirer profit de la qualité de l'enseignement technique vue par les multinationales. L'exemple de la Chine démontre l'importance de ces règles de bon sens. En effet, ce pays a formé environ 500 000 ingénieurs en 2003, mais seulement 10% de ces ingénieurs peuvent travailler dans les sociétés étrangères qui souhaitent s'installer en Chine, créant ainsi une tension sur le marché de l'emploi et faisant planer une menace à long terme sur le développement de ce pays. Ainsi donc, l'économie algérienne est stabilisée et a de bons fondamentaux. Malgré cela, elle souffre d'importantes fragilités au niveau de son tissu d'entreprises : faible diversification, faible performance des entreprises, tissu économique fragmenté... Depuis le premier plan d'ajustement structurel conclu avec le FMI en 1994, l'objectif de stabilisation macroéconomique a été atteint. Il est temps d'aller vers des politiques de l'entreprise plus vigoureuses. D'autant qu'à la vue des réserves pétrolières prouvées, du rythme de production actuel et des prix projetés sur le marché à moyen/long terme l'Algérie disposerait de plusieurs milliards de dollars de surplus pétrolier sur les 15 à 20 prochaines années, qu'il faudrait utiliser avec sagesse pour construire l'avenir du pays. Abdeldjellil Bouzidi , Mohsen Toumi