L'assassinat de Mohamed Boudiaf, la veille du 30e anniversaire de l'Indépendance, hante toujours notre pays en ce cinquantenaire du 5 juillet. 20 ans de mensonges d'Etat et de violences sur 50 ans n'ont pas encore entamé la volonté des Algériens qui réclament vérité et justice. El Watan Week-end tente ici d'aller à la rencontre des multiples facettes de Mohamed Boudiaf, de son message et de son sacrifice. Depuis le soir du 13 décembre 1992, au lendemain de la publication du rapport final de la commission Bouchaïb, les officiels algériens n'ont plus jamais évoqué l'assassinat de Boudiaf. Le Haut-Comité d'Etat (HCE) venait, ce soir-là dans un communiqué, de préciser qu'«à la suite du rapport établi par la commission d'enquête, le HCE considère qu'il appartient désormais à la justice de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour aboutir à la conclusion de cette affaire». On sait ce que la justice a réalisé quatre ans plus tard en condamnant Lembarek Boumaârafi à la peine capitale dans un procès boycotté par la veuve Boudiaf : «l'acte isolé» a été entériné comme seule et unique thèse de l'affaire. La Télévision nationale n'a pas trouvé mieux que de programmer une série de films et de documentaires sur l'assassinat de Kennedy pour préparer l'opinion à cette thèse. Dossier clos. On passe à autre chose. Or, dans son dernier rapport de décembre 1992, la commission d'enquête, présidée par le défunt Ahmed Bouchaïb (la dernière promotion de l'Académie de Cherchell, sortie avant-hier, porte son nom sur décision de Bouteflika !) n'a, contrairement à une idée reçue, jamais conclu à «l'acte isolé». Nous pouvons lire dans le rapport final (dont seulement deux chapitres sur cinq ont été rendus publics) que «la commission s'est posé la question de savoir s'il y avait une relation entre les négligences constatées et l'attentat, autrement dit, y a-t-il complicité entre les responsables de ces négligences et l'auteur matériel du crime ?». La commission, consciente des difficultés à surmonter pour venir à bout d'une telle machination, n'a pas hésité à se dédouaner devant l'opinion publique, disant clairement qu'elle n'a pu «aller au-delà de l'auteur matériel» de l'assassinat et à pointer d'un doigt accusateur la nébuleuse «féodalité politico-financière» . «L'assassin n'a pas agi seul aussi bien durant la préparation de l'assassinat qu'au moment de l'acte», déclarait à El Watan, le 10 décembre 1992, le président de la commission Ahmed Bouchaïb, décédé en 2006. Seule la piste des dysfonctionnements du dispositif de sécurité autour du président Boudiaf en ce 29 juin fatidique aurait pu mener à dévoiler d'autres niveaux de complicité, voire de révéler l'identité des commanditaires. Mais les 23 membres du GIS et de la sécurité présidentielle, arrêtés, officiellement, sur demande de la commission d'enquête en août 1992 pour «négligence coupable», ont été relâchés en mars 1993, sans qu'aucune explication ne soit donnée. L'absence d'une démarche judiciaire crédible a ensuite ouvert la voie à tous les doutes et fait ancrer la thèse du complot contre Boudiaf dans l'opinion publique et les proches du défunt, allant jusqu'à douter de l'identité du tireur lui-même. A la chaîne Al Jazeera, Fatiha Boudiaf a révélé, le 5 mai 2006, que les présidents Zeroual et Bouteflika lui ont avoué qu'ils ne pensaient pas que Boumaârafi était le véritable tireur ! Une grave révélation qui est restée sans suite, pour le moment. Juridiquement, la commission d'enquête sur l'assassinat de Boudiaf existe toujours : le décret n°92-01 l'instituant n'a pas été abrogé.