Le passage au football professionnel est une décision politique des plus hautes instances de notre pays. Elle répond aux exigences de la pratique du haut niveau et s'ajuste aux standards FIFA de la gestion du football domestique. Deux années plus tard, cette réforme est menacée de rester dans l'impasse. Basée sur la propension des capitaux privés à venir s'investir dans le football, elle a perdu en cours de route attrait et sécurité. Le tableau de la saison 2011-2012 est même très inquiétant : violence endémique, nombre de matchs à huis clos affligeant, couverture télévisuelle archaïque, et pour finir, volume astronomique des impayés au sein des SSPA du football. L'été 2012 est jalonné de mouvements de rue ici et là à travers le pays, qui réclamant le départ d'un dirigeant (JSK, MCA…), qui le retour d'un autre (Khroub, USMBA…). La crise du professionnalisme naissant est devenue un problème d'ordre public à Bab El Oued et à Chéraga depuis un mois. L'idée d'aller vers la professionnalisation de l'activité sportive dans le football est pourtant défendable. Il existe un potentiel technique et un ancrage populaire en Algérie qui peuvent garantir le succès dans la durée. Le championnat d'Algérie a produit une grande partie des stars qui ont fait briller l'équipe nationale dans les années 1980. Et si la participation à la Coupe du monde de 2010 a été essentiellement portée par les joueurs algériens de la diaspora, les talents locaux ne se sont jamais taris et le potentiel est toujours en place, comme le montre encore récemment l'émergence en équipe nationale du duo Slimani-Soudani, tous deux formés au pays. Cet élan de l'investissement dans le football s'est donc vite brûlé les ailes au bout de deux saisons. Des investisseurs veulent céder leurs actions dans les SSPA et ne trouvent pas preneur. Mettre de l'argent dans le football est un projet réputé désormais non seulement à gros risque pour les investisseurs, mais aussi sans visibilité sur le moyen terme. Le sort fait à la plus importante des mises apportée dans le football, celle du groupe Haddad à l'USMA, a largement contribué à ce sentiment. Les 800 millions de dinars des frères Haddad ont permis de créer un premier modèle de club professionnel avec restauration et réorganisation du stade Omar Hamadi, installation d'une nouvelle équipe dirigeante digne des standard européens, staff technique et staff médical de haut niveau, recrutement des meilleurs joueurs. Le club a rapidement évolué en une véritable entreprise avec son administration dotée dans tous ses compartiments, directeur général, directeur de l'administration générale, directeur financier... Une entreprise qui fait des acquisitions – assiette de terrain à Aïn Benian, afin de construire un stade digne de ce nom – et qui investit dans la ressource joueur avec le lancement de l'école de formation avec toutes ses commodités. Cette locomotive du professionnalisme, qu'aura été l'USMA durant ses deux premières saisons, fonctionne paradoxalement aujourd'hui en contre-modèle chez les potentiels investisseurs. Il se dit tout haut : «Si le groupe Haddad avec tous ses moyens n'a obtenu encore aucun titre, alors pourquoi investir dans la loterie du football ?» Un bon marketing du lancement du professionnalisme aurait voulu que cette vitrine de la réforme soit protégée. Non pas favorisée bien sûr, mais juste protégée de la coalition des attaques venant de toutes parts. La violence inouïe qui s'est abattue sur la délégation de l'USMA à Saïda et qui a failli coûter la vie à plusieurs joueurs, dont l'international Laïfaoui, illustre l'imaginaire dominant. Le club le mieux structuré est celui qu'il faut casser en priorité. Les instances du football n'ont pas réussi à sécuriser le plus gros investissement dans leur activité et du coup mis en péril tous les autres projets d'investissement dans le football. Elles n'ont pas sanctionné, comme le prévoit la loi, les clubs employeurs mauvais payeurs ; en principe interdits de recrutements tant que les créances dues ne sont pas versées aux joueurs. Le message qui ressort de ces deux premières années de professionnalisme est que les vieilles recettes du clubisme amateur sont toujours les meilleures. Le respect des règlements (versement des cotisations CNAS, par exemple) et la transparence dans la gestion ne payent pas. La pratique vertueuse dans le management sportif conduit à l'insuccès. Voilà le sentiment qui filtre après deux saisons de professionnalisme. Les pouvoirs sportifs doivent dans ce cas réagir vite. Ils doivent accompagner plus activement les investisseurs dans ce domaine du football chargé d'enjeux sociaux et symboliques. Faire appliquer les premiers textes et en réformer les parties que le retour d'expérience a montré inadapté. Aider les SSPA à construire leur nouveau métier : générer des revenus liés au spectacle populaire du football. Les pionniers de l'investissement dans le football se sentent pour l'heure pris en otages. Ils ne peuvent ni avancer ni se retirer. Mais le plus probable déjà est qu'il ne risque pas d'y avoir de nouveaux entrants, si les apports en capitaux frais ne sont pas mieux protégés par les règles et les pratiques.