Il est faux de dire qu'Ahmed Ouyahia n'a fait que bétonner l'activité des entreprises algériennes depuis fin 2008 et ses deux fameuses circulaires qui annonçaient la LFC 2009. Il a aussi fait des réformes de marché. Il a lancé le professionnalisme dans le football. Autrement dit, il a décrété la vente du spectacle sportif footballistique suffisamment profitable pour devenir un nouveau marché pour les investisseurs. Audacieux. L'idée de passer la main aux investisseurs privés dans le football n'est pas anti-sociale. Les subventions publiques des wilayas peuvent plus se diriger vers d'autres disciplines qui en ont bien besoin. C'est l'ingénierie de ce passage qui trahit la faiblesse de la gouvernance algérienne de nos jours. L'Etat a objectivement intérêt à faire réussir une réforme qu'il lance. En l'occurrence, à légiférer pour attirer des capitaux dans les nouvelles sociétés de sport par actions (SSPA), pour élever les standards de la pratique. La première saison pro se traîne sous le soleil de fin juin et les bilans sont plus que grinçants. Le flux de capitaux vers le football professionnel hors le groupe des frères Haddad (ETRHB) – 700 millions de dinars pour le rachat de l'USM Alger - est homéopathique. Seule deux autres SSPA, dont la JSM Béjaïa, dépassaient en mars dernier le capital de cent millions de dinars exigés par les banques publiques pour accorder un crédit à taux nul, couvert par le Trésor, aux plans d'équipements des nouvelles sociétés. Les fondateurs des SSPA ont tenté des ouvertures de capitaux tout au long de la saison. Prêche dans le désert. A la date d'aujourd'hui, le capital social du MC Alger, champion de la saison dernière et plus gros potentiel de marketing dans le pays, est de… un million de dinars. Le fringant président de l'Entente de Sétif, Abdelhakim Serrar, qui a promis une capitalisation à deux milliards de dinars pour «Black and White», la SSPA de l'ESS, choqué, a dû prendre du recul, se sentant trahi par… la réalité marchande de son activité. Le diagnostic est vite fait. Le business du football n'a pas de revenus prédictibles. Derrière les 32 clubs auxquels la FAF a accordé, l'été dernier, le label «professionnel», se tient une majorité écrasante de SSPA, en situation de banqueroute après une année d'exercice comptable. La chronique de la presse sportive est polluée par les affaires d'impayés. Envers les joueurs (salariés), envers les fournisseurs. La CNAS et les impôts sont une autre affaire. Les présidents de clubs ont renoncé à la dernière minute à une grève. Si l'on devait s'arrêter sèchement à ces indicateurs, la réforme est déjà un retentissant collapsus. Tout n'est pourtant pas encore perdu. En théorie, les investisseurs peuvent encore venir pour la saison deux. Il leur faudrait un signal. L'élection imminente d'une Ligue du football professionnel, qui sera sans doute présidée par un ancien président de club, pourrait en être un premier. Elle va faire naître un point de vue organisé pour enfin défendre les revenus du football. Cela ne suffira bien sûr pas. Car l'affaire est politique. Le décollage des revenus du football dépend d'un contexte d'affaire global qui n'est pas là. Les recettes de billetteries sont liées à la qualité d'accueil dans les stades qui supposent d'abord des dépenses. Les droits de télévision sont sacrifiés à cause de l'entêtement du président Bouteflika à ne pas ouvrir l'audiovisuel. Les revenus du merchandising restent anecdotiques à cause de la prédominance de la contrefaçon sur le marché algérien. Enfin, l'attraction des sponsors est bridée par la faible exposition télévisuelle (cercle vicieux). Le basculement du pays dans une tension émeutière quotidienne, depuis janvier dernier, a fini de rendre l'investissement dans le spectacle du football tout à fait aventureux pour les épargnants. Le Premier ministre ferait donc mieux de venir vite au secours de sa réforme, au lieu d'asséner aux Algériens des commentaires du café du commerce sur les options techniques des Verts. D'autant vite que son partenaire, la FAF, a, justement, d'autres soucis immédiats. Le gouvernement a été incapable de traduire dans les faits la promesse d'un prêt bancaire à taux nul de 100 millions de dinars pour soutenir les dotations (bâtiment administratif, centre d'entraînement) des nouvelles SSPA, une promesse à l'origine du rush pour la création des sociétés par actions l'été dernier. C'est un indicateur sur la teneur des promesses qu'il a pu faire lors de la dernière tripartite. Notamment celles qui engagent les banques et la prise en charge par le Trésor public des intérêts intercalaires dans les crédits d'investissements pour les PME. Le plan de sauvetage de la réforme existe. Celle du football professionnel comme les autres. Ce sont les réformateurs qui ont disparu.