Récidiviste, le pourfendeur de tristesses a encore frappé. Slim doit être superstitieux, car dans son tout dernier album, à la liste de ses albums parus, il manque le dernier, Avant, c'était mieux, paru en 2011, ce qui aurait porté à treize le nombre de ses publications. Il doit être, de plus, nul en mathématiques car en ajoutant ce dernier, Tout va bian*, il aurait pu voir qu'il échapperait au chiffre fatidique en parvenant à 14 titres. Mais on ne peut pas lui demander d'avoir toutes les qualités quand celle qui intéresse ses innombrables lecteurs et lectrices est bien son humour complètement déjanté et sa vision caustique de la société algérienne qu'il poursuit de ses insupportables assiduités depuis la fin des années soixante, aux limites du harcèlement moral, pour ne pas envisager pire. A 67 ans, ce diablotin facétieux continue à se comporter – et paraître d'ailleurs – comme un adolescent en découverte perpétuelle, prouvant que l'humour demeure le seul élixir de jeunesse qui ait fait ses preuves. Avec Tout va bian, sous-titré 50 ans, 50 planches plus quelques autres, il a voulu participer à sa manière à la célébration du Cinquantenaire de l'Indépendance en venant nous rappeler que l'humour fait partie de la personnalité d'un peuple et participe à la grandeur d'une nation. A travers les 68 pages foisonnantes de cet album, il livre ses dernières productions de presse où il a développé une technique qu'il avait déjà pratiquée, mais de manière épisodique. Dans une parodie de journal, il mêle ainsi dessins et photographies d'actualité, bulles manuscrites et commentaires imprimés, personnages imaginaires et réels, fausses annonces et publicités, etc. C'est la gazette de Slim rebondissant, tel son célèbre chat, gatt m'digouti, sur les petits et grands événements du pays et du monde et, comme tous les chats de la création, retombant toujours sur ses pattes, mais jamais à l'endroit où la loi de la gravité le faisait attendre. Mais s'il est une loi que ne respecte absolument pas cet auteur, irrespectueux des poids et mesures comme de la physique des fluides, c'est bien celle-ci. Que ferait-il donc de la gravité quand le monde qu'il décrit est assez grave par lui-même ? En le brossant, en deux ou trois piques, quatre ou cinq images, il se propose justement de nous le rendre meilleur, non pas en falsifiant sa réalité ou en arrondissant ses angles, mais en nous proposant sa critique par le rire. Et là, le père de Bouzid et Zina, l'oncle d'Amzian et le cousin du lebène du coin, se déchaîne comme un seul homme, alignant dans ses planches les trabendistes, les corrompus, les hypocrites, les opportunistes, épinglant à la fois les frasques et inconséquences des dirigeants que les travers des citoyens dits lambda, avec une préférence, bien sûr, pour les premiers. La chronique récente de l'Algérie et de la planète se déroule en continu dans cet almanach qui couvre notamment la période des révolutions arabes. Le problème de telles œuvres, c'est qu'il est difficile d'en présenter la trame. Avec au moins un thème au décimètre carré, cela doit en donner quelques centaines sur tout l'album. Que dire donc, sinon qu'il s'agit d'un pur Slim. Et l'on ne saurait en dire plus. Ni moins d'ailleurs, tant sa signature est devenue la propre référence de ses œuvres. *Slim, «Tout va bian». Auto-Edition. Alger, 2012.