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Le cardinal Duval (1903-1996) : guerre de Libération, une cause juste
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Publié dans El Watan le 25 - 07 - 2012

Tout mon apostolat en Algérie, je peux le résumer en un seul mot : je crois à la force de l'amitié.» Davantage avec précision et finalité : «Mais dès le début, j'ai eu la préoccupation de faire coïncider ma pensée et mon action avec les réalités du pays.»
A merveille, l'homme providentiel arrivé à point nommé, au lendemain des massacres du 8 Mai 1945, pour aussitôt s'imprégner des réalités socioéconomiques et politiques de l' Algérie profonde. Aussi, durant toute la période de la guerre de Libération nationale, n'a-t-il pas cessé d'observer et d'agir, de protéger et sauver, au paroxysme même des années meurtrières, des années de fer et de sang, de tortures, - arme absolue de guerre. Conséquemment ! Efficacement !
Avec du recul, pour les générations montantes et la postérité, il importe de se fixer sur ce qui a dû échapper aux contemporains, en dehors des messes et nombre d'interventions circonstanciées, telles les dénonciations de la torture ou prise de position politique d'avant-garde à l'instar du droit à l'autodétermination trois années avant le général de Gaulle.
Quoi qu'il en soit, les missions accomplies méritent d'amples développements et ne peuvent être abordées dans ce cadre trop restreint. Nous nous limiterons seulement au double rôle qu'il a joué, dans l'anonymat total, la remise de la clinique de Verdun à la ZAA (Zone autonome d'Alger) et l'importation de bateaux pleins de vivres et d'habits au profit des populations tant éprouvées, en ville et campagne. Faut-il pour autant sous-estimer son soutien aux discussions engagées à propos des conditions des relations futures de l'Eglise d'Algérie ? Qu'en est-il d'une omniprésence providentielle, traduite dans les faits à plusieurs reprises par l'affranchissement de nombreux militants menacés d'élimination physique inéluctable, voire imminente…?
La remise de la clinique de Verdun à la ZAA (Aïssat Idir)
Assurément, le comportement du disciple de saint Augustin (1) a été à la hauteur des événements pour répondre promptement aux atteintes et besoins d'alors, lorsque, à la suite de l'application du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, il fallait assurer la prise en charge de 30 à 40 blessés quotidiennement à travers le Grand Alger... Pour répondre favorablement à la demande formulée par le capitaine Ali Louanci, chargé par la ZAA de prendre contact avec Mgr Duval, l'homme providentiel :
«Je n'oublierai jamais l'accueil qu' il m'a réservé, bien que je sois un responsable militaire de haut rang au sein de l'ALN. Il m'a accueilli avec toute la considération voulue et laissé exposer mon problème.» (D. Gonzalez, 2008,)
Point de doute possible. D'autant que la réponse «tenait en deux mots», alors que les prétentions de l'officier étaient plutôt limitées suivant ses propres termes : «Nous avions besoin de son aval pour que les Sœurs Blanches qui travaillaient dans le paramédical à la clinique de Verdun accueillent certains blessés.»
De plus, la réponse a été très brève : «Pour vous répondre, fixons-nous un autre rendez-vous pour un autre jour, à la même heure.» C'est ce qui s'est fait. Je suis donc revenu comme convenu. D'autant qu'au jour convenu, Mgr Duval l'a surpris agréablement :
«Voilà le responsable de la clinique ! Il s'agissait en effet du colonel médecin-major, en personne. Nous nous sommes touché la main. Avec le sourire, Mgr Duval a dit : ‘‘C'est bien la première fois que je vois un responsable du FLN et un colonel français se toucher la main ! Pour l'intérêt de nos blessés, ai-je ajouté, je ferais n'importe quoi !'' Mgr Duval a ensuite eu la délicatesse de sortir du lieu où nous étions. Il nous a laissé débattre entre nous.»
Promptement, le colonel médecin-major de préciser : «Dès ce soir, je vais faire en sorte que des lits vous soient réservés. Vous pourrez prendre contact avec sœur Marguerite. Personne ne lui demandera de rendre des comptes. Je fais cela non pas parce j'épouse votre cause, je suis votre adversaire. Je le fais par humanité. Vous avez besoin d'un secours. Ma religion, qui est catholique, me dicte de ne pas refuser ce secours. Cela m'est un devoir de conscience, confirmé par le feu vert de Mgr Duval. Vous pouvez bien penser que je ne peux pas faire autrement que d'accepter.»C'est ainsi que, depuis ce jour-là, alors que nous combattions le colonialisme français, nos blessés les plus graves étaient admis dans la clinique de Verdun, et ils étaient soignés.
Le capitaine Ali Lounici de conclure :
«Nous avons évidemment peu à peu établi nos propres structures hospitalières. La clinique de Verdun est devenue la nôtre. Elle a été la première clinique algérienne. Cela restera dans l'histoire. Des professeurs comme Mansouri, Abad, Mentouri, nous y ont vite rejoints pour y opérer».
L'importation de bateaux entiers de vivres et d'habits
Très attentif aux réalités socioéconomiques de l'Algérie profonde dès ses premiers contacts remontant à 1947, puis plus particulièrement au sort réservé aux populations rurales parquées dans les villages baptisés «villages de regroupement», en fait la ghettoïsation Mgr Duval a réagi. Conséquemment :
«Nous avons fait venir de l'étranger des quantités considérables de denrées alimentaires, de vêtements. Des bateaux entiers arrivaient à Alger et nous apportaient tous ces dons. Les distributions avaient lieu dans les régions les plus éloignées de l'Algérie, comme dans les quartiers pauvres de la ville, grâce à la coopération des Algériens. Nos cadres du Secours catholique étaient représentés par quelques personnes seulement. Mais des dizaines et des dizaines d'Algériens participaient aux distributions, qui se faisaient d'une manière équitable. Il y a eu là incontestablement une action efficace de l'Eglise pour empêcher les gens de mourir (…)»
Dans les faits, concrètement, comme l'a précisé le commandant Azzedine, «c'est dès 1956, les équipes du Secours catholique organisaient un réseau de ravitaillement, lait, farine, beurre, vêtements, couvertures, etc. La distribution s'effectuait avec l'aide des militants du FLN. Le Secours catholique ne savait pas, ou feignait d'ignorer leur appartenance à l'organisation …»
Et d'enchaîner : «Un prêtre en soutane, une religieuse en robe, étaient les meilleurs des laissez-passer… et nombreux furent les prêtres et les religieuses qui accompagnèrent les convois, prêtant même à plusieurs reprises leur soutane et leurs cornettes à des fidayyine du FLN, hébergèrent souvent les militants dans les cures et les presbytères.. Les convois partent de Hussein Dey où sont situés les magasins généraux de la ZAA et font route vers Belcourt et La Casbah. Leur parcours traverse donc de grandes artères où s'embusquent les commandos Delta…» Et de conclure : «Mgr est un juste. Rejetant le calcul politique, il remet à la ZAA les subsides venus d'Europe, n'en tire aucune gloire personnelle et manifeste sereinement la confiance qu'il nous accorde ? Mgr Duval pour l'offrande de ce ‘‘pain quotidien'', permettez-moi en ces quelques lignes de vous rendre hommage.»
Les négociations ayant défini les relations futures de l'église catholique dès le recouvrement de la souveraineté nationale
Tout a été anticipé avant l'ouverture même des négociations avec le gouvernement français, même si l'entretien entre deux délégués de même confession et natifs du même pays pour lequel ils ont défendu la cause nationale. Effectivement, c'est Pierre Chaulet qui a négocié avec le Père Scotto (1913-1993), (2), «sous la bénédiction de Monseigneur Duval», en juin 1961, à Gênes. Trois jours de discussions amicales ont abouti à un accord global sur la restitution au culte musulman des mosquées occupées depuis la conquête, la reconnaissance de la souveraineté nationale dans les questions de société (concernant notamment l'école), le respect de la liberté de conscience et de l'exercice du culte.
Toutefois, une réserve a été formulée concernant «l'attachement de l'Eglise d'Algérie à la congrégation des Eglises orientales (qui) semblait problématique en raison de la composition humaine de la communauté chrétienne, majoritairement de culture française, à qui l'on ne pouvait pas imposer la langue arabe comme langue liturgique». Précisions du Pr Pierre Chaulet concordantes avec celles rapportées ultérieurement par Rédha Malek (1995).
L'omniprésence providentielle de l'archevêque
Paradoxalement, pour le grand public d'alors, et à l'exception de cercles demeurés forcément restreints, l'omniprésence providentielle de Mgr Duval a été salutaire et réconfortante pour les uns, voire la délivrance d'une élimination physique imminente pour d'autres. Avec le recul dans le temps, édifiants sont les témoignages qui ont pu être recueillis.
A cet égard, particulièrement illustratif est celui relaté par un témoin des plus privilégiés, à l'instar de Corine Chevalier, la fille du maire d'Alger, Jacques Chevalier, (1911-1971), le maire dit des Arabes : «Durant les jours de la Bataille d'Alger, je me rappelle des arrivées impromptues de l'archevêque dans notre maison familiale où après s'être engouffré dans le bureau de mon père pour lui signaler quelques nouvelles exactions, ils repartaient ensemble pour tenter d'arracher un malheureux aux griffes de ses tortionnaires ou pour soustraire un autre aux séides de Massu, en le ‘‘ planquant'' dans l'appartement de fonction du maire, au dernier étage de la mairie.»
(Gonzalez, 2008 :92). Dignes d'intérêt sont les témoignages qui ont pu être enregistrés et sauvés de l'oubli, notamment ceux narrés par les intéressés eux-mêmes ; chacun d'eux focalisant l'attention sur leur vécu, à merveille entrevoyant le rôle joué éminemment, méthodiquement par l'archevêque. Tel est le cas de l'arrestation de l'historien Mahfoud Kaddache dont le lieu de détention n'a pu être localisé par ses proches et sympathisants…Bel et bien, il l'a été par Mgr Duval grâce auquel, le professeur a été libéré, de surcroît en citant de nombreuses interventions couronnées de succès à propos de routiers et de chefs scouts, tous demeurés, toutes les interventions ayant été «anonymes», tient-il à préciser.
La seule exception avortée a concerné leur chef, Omar Lara, porté disparu en 1957 suite à son arrestation par les parachutistes, au paroxysme de la Bataille d'Alger. Tel le cas de l'étudiant Belaïd Abdesselam, qui a été hébergé dans une institution catholique, dit-il, «soutenue par un réseau composé – je me suis rendu compte – des prêtres et d'enseignants… J'ai compris qu'ils agissaient dans le cadre de l' Eglise, avec le consentement de Mgr Duval, mais à l'insu de certains de leurs confrères, politiques acquis à l'autre bord…» Nombreux sont les exemples soulignant vigilance et mobilisation sans faille de l'archevêque en demeurant continuellement à l'écoute des uns et des autres pour agir. Conséquemment !
Conclusion
Fortement attaché à la terre algérienne et à ses habitants, tous ses habitants, le cardinal Duval s'est consacré, résolument, à la défense de toutes les causes justes à travers le monde. En témoignent ses innombrables prises de position, notamment sa participation à Cordoue dans le cadre du dialogue islamo-chrétien, sa présence auprès des otages américains à Téhéran en 1979… «L'amour fraternel est un puissant levier pour sauver le monde ; il n' y a pas de paix fraternelle sans la justice, le blocage entre le politique et le religieux est une position dangereuse pour toutes les sociétés.»

Notes :
(1) Né à Tagasthe (Souk Ahras) en 354 et décédé à Hippone ( Annaba) en 430, l'auteur de La Cité de Dieu et Les Confessions, saint Augustin a exercé une influence capitale sur la théologie occidentale et donné au latin chrétien ses lettres de noblesse. L'extrait du discours du chef de l' Etat prononcé lors du Colloque international qui lui a été consacré à Alger (2001) : .
«Qu'Augustin ait vécu et pensé avant la révélation coranique ne saurait disqualifier son œuvre comme support et aiguillon d'une réflexion commune, de notre point de vue de musulman…L'étude d'Augustin est d' une actualité brûlante et les débats qu'elle est de nature à susciter peuvent contribuer à nous faire progresser ensemble, dans notre diversité, vers le monde apaisé, le monde de justice et de fraternité auquel, depuis la nuit des temps, aspirent tous les hommes de bonne volonté.»
(2)Témoignage du Pr Pierre Chaulet (2012 : 219). En effet, M'hamed Yazid, au nom du GPRA, qui l'a chargé, au printemps 1961, de contacter Monseigneur Duval pour évoquer les questions qui pourraient se poser à l'Eglise catholique dans une Algérie indépendante. A cet effet, un dossier avait été préparé à Tunis avec le Père Alfred Bérenguer, membre du Croissant-Rouge, qui venait de faire une tournée en Amérique latine, et Pierre Mamet, ancien membre de l'équipe de prêtres de Souk Ahras, qui, à Tunis, était en relation avec l' UGTA.

Références bibliographiques :
Béringuer A.(1996) : Un curé d' Algérie en Amérique latine, Alger, SNED, 210 p.
Chaulet P. C. : Le choix de l'Algérie, deux voix, une mémoire, Alger, Barzakh, Gonzalez D. (2008) : Le Cardinal Léon-Etienne Duval, la voix du Juste, Alger, ENAL, 219 p. RAY M.C. (2005) : Le cardinal Duval un homme d'expérience en Algérie, Paris, Le Cerf, 217 p Malek R. (1995) : L'Algérie à Evian, Paris, Le Seuil.


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