L'Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT) joue-t-elle pleinement son rôle de gendarme du marché des télécoms en Algérie ? Brillant par son absence de la gestion du dossier de la cession et du rachat des actifs d'Orascom Telecom Algérie, l'ARPT vient de se voir mettre en demeure par les opérateurs de téléphonie mobile (Algérie Télécom Mobilis et Wataniya Telecom Algérie) afin d'intervenir pour rééquilibrer le marché. La passivité de l'ARPT vis-à-vis de la position dominante dont profite Orascom avec ses marques commerciales Djezzy et Allo depuis plusieurs années a été maintes fois décriée par le dernier entrant sur le marché, Wataniya, qui avait même introduit une saisine auprès de l'ARPT afin que celle-ci mette fin à l'hégémonie de l'opérateur privé sur le marché. Pourtant, Djezzy contrôle toujours près de 60% du marché alors que la loi sur la concurrence limite les parts de marché à un maximum de 45%. Ce qui explique d'ailleurs l'agacement des concurrents directs de Djezzy. A tel escient que les responsables de l'opérateur public historique, AT Mobilis, qui jusque-là se contentaient de quelques déclarations timides à propos de la situation du marché, sont sortis de leur réserve habituelle pour mettre l'Autorité de régulation devant ses responsabilités. Ainsi, au cours d'une interview accordée à l'APS, le nouveau patron de Mobilis avait vivement souhaité une intervention de l'Autorité pour équilibrer le marché. Une position mise à profit par le troisième opérateur, Nedjma, pour revenir à la charge et sommer publiquement l'ARPT de prendre les mesures nécessaires afin de mettre fin à la position dominante de Djezzy sur le marché et garantir ainsi «les conditions d'une concurrence loyale». Comme pour confirmer un peu plus sa passivité et son insensibilité aux conditions dans lesquelles évolue le marché de la téléphonie mobile, l'Autorité de régulation n'a pas réagi aux appels du pied des opérateurs ni aux sollicitations des journalistes afin d'expliquer dans quelle mesure elle pourrait renforcer son action en ce sens. Pourtant, l'ARPT a, dès 2007, rendu publique une décision consacrant la position dominante de Djezzy sur le marché ; elle a également mis en avant les abus de position dominante de l'opérateur. Selon les constatations de l'époque, Djezzy a alimenté une guerre des prix dans laquelle il entraînait ses deux concurrents à moindre capacité financière pour supporter une politique tarifaire analogue. Sur ce, l'ARPT avait entrepris d'encadrer les politiques promotionnelles et de réajuster les tarifs de l'opérateur. Passivité ! L'ARPT a ensuite, dès 2009, pris plusieurs décisions pour encadrer les offres promotionnelles des opérateurs, des décisions réactualisées chaque année. Or, cette batterie de mesures ne semble pas atténuer la domination de Djezzy sur le marché. Il est certes vrai qu'il n'est pas facile et évident de mener une opération de démarketing appuyée sur la limitation des offres promotionnelles d'un opérateur dominant, et que celles-ci demandent en général du temps. Toutefois, de l'avis d'experts, on estime que l'ARPT fait preuve d'une trop grande passivité vis-à-vis du comportement commercial des opérateurs de téléphonie mobile. C'est le cas de Younes Grar, ancien conseiller au ministère des PTIC et aujourd'hui expert indépendant, qui estime dans ce sens que l'Autorité de régulation ne devrait en aucun cas se limiter à une structure académique ou bureaucratique publiant statistiques et décisions ponctuelles. Elle ne peut non plus confier ses missions de régulation et de veille concurrentielle au Conseil de la concurrence qui, précisons-le, n'a pas encore été installé. L'article 13 de la loi 2000-03 est claire à ce propos : l'Autorité de régulation a pour «missions de veiller à l'existence d'une concurrence effective et loyale sur les marchés postal et des télécommunications en prenant toutes les mesures nécessaires afin de promouvoir ou de rétablir la concurrence sur ces marchés». Elle doit pour cela non seulement édicter des règles du jeu claires, applicables à tous les opérateurs du marché, mais disposer également des moyens nécessaires afin d'effecteur des missions de contrôle sur le terrain et vérifier, à titre d'exemple, la couverture des réseau ou les canaux informels de vente de puces. Elle doit surtout, selon M. Grar, prendre des décisions courageuses et imposer des sanctions financières lourdes aux opérateurs qui ne respectent pas leurs obligations ou tentent de contourner la loi, comme cela se fait dans tous les pays du monde. Auquel cas, l'anarchie risque de miner le marché. L'expert en télécoms adosse également une certaine responsabilité aux opérateurs qui, selon lui, devront réagir aux pratiques anticoncurrentielles non par communiqués intempestifs, mais à travers des saisines documentées auprès de l'ARPT, à laquelle il appartient de trancher dans des délais permettant de court-circuiter les tentatives de contournement de la loi. M. Grar explique aussi que l'Autorité de régulation se doit de publier le fruit de ses investigations dans la transparence la plus totale, pour asseoir une gestion légaliste et claire du secteur. Sinon, l'impression demeurera quant à une gestion politique du marché des télécoms. Une situation qui risque de conforter l'image selon laquelle l'ARPT n'est, au final, qu'une coquille vide.