Un encombrement fou dans les artères, à la sortie du stade. Une marée humaine inonde trottoirs et rues. Les policiers, débordés, sont sur les nerfs. On hèle, on sermonne et on bouscule même. L'ambiance prend les contours des activités diurnes, pourtant on n'est pas loin des coups de 2h. Le stade de l'Unité maghrébine de Béjaïa n'a pas déversé autant de monde, même à la fin des plus chauds des derbys. 30 000, voire 35 000 personnes viennent d'assister au gala de Takfarinas. Deux heures et demie d'un concert-événement qui auraient provoqué l'émeute, si les organisateurs, le comité des fêtes de la ville, avaient maintenu le stade scolaire comme lieu de la soirée, comme inscrit sur les affiches et les invitations. Il a fallu une réunion du conseil de sécurité de la wilaya pour décider de ce changement de dernière minute. Ce n'est pas pour autant que l'on ne s'est pas bousculé sur le terrain et dans les gradins du stade de l'Unité maghrébine. L'entrée a été gratuite. Pour fuir la mêlée, certains jeunes, impétueux, ont préféré prendre de l'altitude : ils se sont accrochés sous la charpente métallique des tribunes. Certains tout juste au-dessus de la tête du wali, comme une épée de Damoclès. Les balcons des immeubles environnants ont aussi fait le plein. Le décor d'une soirée mémorable est donc planté. 22h20. Un pick-up blanc roule sur la pelouse. Incognito, Takfarinas rejoint son chapiteau blanc, derrière l'imposante scène. 23h. Veste-caftan noire, brodée de fil doré, dont les manches sont rehaussées par le «Z» amazigh, rappelant quelque peu la veste noire ornée de liserés dorés de Michael Jackson, pantalon blanc frappé d'un «hip-hop» sur fond tacheté d'un rouge vif, ceinture blanche brillante et chaussures blanches, allure sportive, il monte sur scène pour y allumer le feu avec la complicité de Takfa, sa célèbre guitare à deux bras. Au moment d'interpréter Douga Douga, les premières barrières, placées à 20 m de la scène, cèdent sous la pression d'un jeune public fougueux. Paniqués, les policiers dégainent leurs matraques et provoquent un mouvement de reflux. Les barrières sont vite remises en place. Ouf ! On l'a échappé belle. Entre deux refrains de Azar azar azar, Takfarinas jette des regards inquiets sur la bousculade. «Mes frères, ça fait 25 ans que je ne suis pas venu, vous m'avez manqué. La joie m'envahit jusqu'à perdre mes mots. Nous continuerons la soirée jusqu'à l'heure que vous voulez. Je suis des vôtres et je le resterai», tente-t-il de calmer le public exalté, dont c'est là la première rencontre avec la star pour l'écrasante majorité. Le concert continue : Anfiyi, Ussan,…. Le public répond du «tak» au «tak» aux sollicitations du chanteur pour reprendre certains refrains. Au loin dans la tribune officielle, le wali est debout, torche à la main. Il dirige la lumière vers les jeunes au-dessus de sa tête, les invitant à descendre sur terre. Takfarinas fait de même. «Je ne chanterai pas tant que vous êtes là-haut. S'il vous plaît, descendez pour l'intérêt de tout le monde», supplie-t-il. La galerie mobiste s'enflamme : «Mouloudia lebjaouia!» Takfarinas enchaîne avec des titres de son dernier double album : Ouiza, Imazighne, Lwaldin au rythme chaâbi, et Lwenas, une chanson hommage au défunt Matoub Lounès, qui plonge le stade dans un silence religieux. A la demande du chanteur, une minute de silence a été observée à la mémoire des martyrs de la Révolution. 00h30. L'artiste reprend son répertoire avec Qimet yidhi ur tsruhet ara (restez encore avec moi), awid awid, ibwa remane, zaâma zaâma, way telha, assas n'zahriw, teb griri et de finir avec chouya chouya, la 18e chanson de la soirée. «Voilà que je reviens vers ma famille, vers ceux qui m'ont porté. C'est fantastique ! On m'attend encore dans d'autres villes du pays. Je suis prêt à chanter même dans une salle de 1500 personnes», déclare, enchanté, à la presse Takfarinas à l'intérieur de son chapiteau qu'il a rejoint après avoir libéré un public, à qui il a donné rendez-vous pour l'année prochaine. Un public qui semble s'être réconcilié avec l'artiste, critiqué pour son appel, contesté, à la veille des dernières élections législatives. La musique adoucit les mœurs.