Le transport maritime profite aux armateurs étrangers, ce qui pèse sur les opérateurs économiques nationaux, le consommateur et l'Etat. C'est en résumé l'amer constat dressé par des experts qui sont intervenus, hier, lors d'un atelier sur le transport maritime, organisé par le FCE à Alger. «L'Algérie ne dispose plus d'une flotte nationale de marchandises générales à la mesure de ses traditions maritimes, de sa configuration géographique, du volume et de la structure de son commerce extérieur. Le peu de capacités et de moyens, d'un âge très avancé, qui lui restent sont en voie de disparition car obsolètes», prévient Abdelhamid Bouarroudj, expert et ancien cadre dirigeant de CNAN. Dans les années 1980, l'Algérie disposait d'une flotte enviable de plus de 80 navires, exploités par le CNAN, parmi les plus importantes du Tiers-Monde, selon lui. Aujourd'hui, la flotte nationale, réduite à sa plus simple expression, est composée de 16 bateaux. «Avec l'effritement de la flotte restante, on peut s'interroger (…) sur les risques qui pèsent sur notre pays en matière de sécurité des approvisionnements et d'exportation», soutient M. Bouarroudj. A titre d'exemple, en matière de cargaisons homogènes, la réglementation algérienne ne permet pas aux opérateurs nationaux d'affréter des navires pour transporter leur marchandise importée ou exportée, dénonce-t-il, indiquant qu'aujourd'hui des opérateurs nationaux subissent le diktat des armateurs étrangers qui refusent de charger les frets payables en Algérie «et ceci en l'absence de capacités d'affrètement de l'armement national, seul autorisé à procéder à l'affrètement de navires». Par conséquent, les pertes estimées sur le fret maritime s'élèvent à 200 millions de dollars par an ; les surcoûts liés aux surestaries conteneurs sont de l'ordre de 3 millions de dollars et les surcoûts liés aux frais de manutention atteignent 110 millions de dollars, soit au total 650 millions dollars. Les armateurs étrangers justifient ces surcoûts, explique M. Bouarroudj, «par les mauvais rendements de nos ports, eux-mêmes liés au manque d'équipements et à l'inadaptation des infrastructures portuaires». Par ailleurs, le coût moyen d'un conteneur à l'importation est de 858 dollars en Tunisie, de 950 dollars au Maroc et de 1318 dollars en Algérie, alors que le même conteneur coûte à l'exportation en moyenne 733 dollars en Tunisie, 577 dollars au Maroc et 1248 dollars en Algérie, selon le rapport Doing Business 2011 de la Banque mondiale. Afin de promouvoir ce créneau, M. Bouarroudj recommande la libéralisation de l'activité d'affrètement, le soutien de l'Etat au secteur du transport maritime, la création d'une chambre maritime et la rénovation de l'environnement réglementaire. Pour sa part, Ali Berchiche, spécialiste du droit maritime, a rappelé que la législation algérienne est «figée». «Les pouvoirs publics ont effectué une timide ouverture en direction du privé. Le diktat des armateurs étrangers, en matière de coût de fret et de surestaries, est à l'origine d'une hémorragie de devises», fustige ce professeur, estimant que les opérateurs nationaux privés sont soumis à des conditions «draconiennes», notamment l'obligation d'avoir un navire et une concession d'une durée de dix ans renouvelable. Ce qui relève, à ses yeux, d'«une discrimination préjudiciable», puisque les opérateurs étrangers peuvent investir librement. Les opérateurs privés nationaux, rappelle-t-il, sont assujettis également à d'autres «contraintes» fiscales et réglementaires. Outre la dépénalisation de l'acte d'exploitation, M. Berchiche plaide, entres autres, pour la mise en place en urgence d'une commission mixte afin de «fixer un nouveau cadre juridique», la levée des contraintes réglementaires et commerciales, l'octroi de subventions aux opérateurs nationaux et la création de groupements d'entreprises pour l'acquisition de navires.