Publié à l'entame du Salon du livre de Paris - une ville dont ces jours-ci les manifestations d'étudiants remémorent les luttes furieuses et fécondes de mai 1968 - un opuscule au genre rare chez nous, signé Boualem Sansal, offre un regard rageur et d'une extrême tendresse sur l'Algérie d'aujourd'hui. Une Algérie qu'il n'a jamais pu quitter, y compris dans ses années rouges, où ses mots d'écrivain le condamnaient déjà. Même si, et parce que justement, on doute fort que ce livre puisse toucher rapidement et suffisamment les lecteurs de son pays de création, par la faute d'une bureaucratie qui a tout intérêt à lui couper les ailes, il est impérieux de signaler au moins sa naissance. En nouvelle lueur de résistance, qui démontre que l'auteur créatif des romans Le Serment des Barbares, L'Enfant fou de l'arbre creux ou Harraga est en permanente conscience écorchée, pour ne pas cesser de « se jeter dans la gueule du loup », comme disait Kateb Yacine. Avec Poste restante : Alger. Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes (Paris, Gallimard, mars 2006), Sansal interpelle les citoyennes et citoyens algériens, pas comme le ferait un leader politique, parce que lui n'a pas de registre dans ce commerce. Mais en intellectuel de sa société, même si ce genre-là a été trop tôt fauché avant de pouvoir donner graine. D'entrée, il crève l'abcès : « Au fond, jamais nous n'avons eu l'occasion de nous parler, je veux dire entre nous, les Algériens, librement, sérieusement, avec méthode. Nous avons tant à nous dire, sur notre pays, son histoire falsifiée, son présent émietté, ravagé, ses lendemains hypothéqués, sur nous-mêmes, pris dans les filets de la dictature et du matraquage idéologique et religieux. » Boualem Sansal a le don, en différence à nombre de nos « gens de lettres » rendus frigides avant l'âge et assoupis par l'unanimisme et l'esprit d'abandon ambiants, de trouver ses mots publics pour dire sa colère, parce que son amour de l'Algérie est démesurément plus grand. D'un mot, parce qu'on ne peut pas quand même ici vous passer toute sa lettre : lisez-là, surtout faites-là lire ; parce que l'Algérie ne peut pas rester comme ça.