Le 18e congrès du parti communiste chinois qui se tient cette semaine à Pékin a pris acte du changement du monde. Depuis 5 années et le 17e congrès, Wall Street a dégazé une nuée de virus toxiques. Et a mis durablement en soins intensifs la croissance économique dans les grands pays clients de l'atelier chinois. Le modèle Deng de croissance chinoise est entré en crise. La consommation planétaire, celle des pays industrialisés en particulier, ne peut plus être la locomotive unique du grand rattrapage chinois. Les sans doute moins de 7% de croissance - les chiffres officiels sont contestés - en 2012 sont le signe avant-coureur d'un ralentissement systémique. Le 18e congrès du PCC travaille donc à changer le moule. La nouvelle orientation est tout indiquée. Le pays le plus peuplé de la planète est aussi l'un de ceux qui consomment le moins dans sa tranche de revenu. La consommation des ménages chinois ne représentait que 35% du PIB lorsqu'elle en pèse 64% au Brésil, par exemple, un autre émergent de poids. Le nouveau duo dirigeant la Chine Xi Jinping (futur président) et Li Kepiang (futur premier ministre) devront donner du revenu aux 50% de chinois restés en marge du grand bond «marchand» en avant. Et rapidement, car un autre péril menace la chine en-dehors du fléchissement des commandes américaines et européennes : le vieillissement de sa population. 10 millions de bras quitteront les chaînes de production en 2013, qui ne seront pas démographiquement remplacés. Il faudra rendre plus productif le volant de travail disponible. Non plus par la modicité des coûts mais par l'innovation technologique. Le virage vers le marché intérieur est aussi un tournant vers une germanisation de l'avantage comparatif. La compétitivité chinoise ne brillera plus par la faiblesse de son coût horaire de la main-d'œuvre - ce qu'elle laisse déjà au Vietnam et aux Philippines - mais par la haute modernité des procès de production. Le même moment technologique et démographique vécu par le Japon il y a quarante ans. La résolution du PCC de développer la consommation intérieure prend des allures de défi. Doublement du PIB et du revenu par habitant d'ici à 2020. Une aubaine pour le reste du monde. Plus de 500 millions de chinois devront se rapprocher des standards sociaux occidentaux dans les 10 prochaines années. Une majorité de chinois ne bénéficient pas de couverture sociale et d'assurance maladie. Ce qui explique l'un des taux d'épargne des ménages (45% du revenu) les plus élevés du monde. Tout cela devra donc changer. Et en même temps, les acteurs mondiaux du tournant chinois. La bourse de Paris a symboliquement fait écho au 18e congrès du PCC. Elle a emmené, jeudi dernier, Sanofi à la première place du CAC 40 par capitalisation boursière. A la place de Total. Les investisseurs anticipent depuis plusieurs mois l'inflexion chinoise, et préfèrent les valeurs du génie chimique à ceux du pétrole. L'avenir appartient moins aux matières premières qu'il est celui du bien-être des populations. Et la Chine est aujourd'hui une immense promesse d'eldorado pour ceux qui sauront mettre leur planche sur cette gigantesque lame de consommation qui se lève. Il a donc fallu une terrible crise économique sur l'aval des exportations chinoises pour que le PCC se convainc enfin de rééquilibrer ses moteurs de croissance au profit de l'intérieur. Il a commencé par laisser remonter la parité du yuan à dose homéopathique. Mais sur l'essentiel, n'a pas su anticiper ce trou d'air de la décroissance en occident. Pourtant, les raisons domestiques alertent depuis longtemps en faveur de ce virage vers le bien-être intérieur. La Chine est le pays à revenus intermédiaires, où les inégalités sociales sont les plus fortes dans le monde. Pour un indice Gini des inégalités atteignant le seuil critique des 0,5%, la Chine «communiste» fait cohabiter 146 milliardaires en dollars et 150 millions de personnes vivant avec moins de un dollar par jour (Banque mondiale). Elle a «exilé» 221 millions de travailleurs migrants dans le monde. En réalité, les dirigeants du PCC ne se sont pas empressés de réformer le modèle exportateur du développement chinois aussi par conservatisme politique. Derrière l'émergence des classes moyennes, pointe inexorablement la question démocratique. Le voisin miracle sud-coréen est là pour le rappeler. Le PCC n'a pas encore programmé de renoncer au monopole sur la vie politique en Chine. Le plus grand risque qui pèse sur l'économie mondiale dans les dix prochaines années, c'est celui du coût de ce «renoncement». Piloté ou chaotique ? Si elle n'est pas prévue par la commission permanente du bureau politique du PCC, la transition démocratique est peut-être l'invitée cachée du doublement du revenu des chinois en 2020.