La fillette de neuf ans était-elle à la maison quand les forces de l'ordre ont surgi, brandissant un mandat de perquisition pour fouiller sa chambre et se saisir de son ordinateur nommé Winnie l'Ourson ? Apparemment oui. On imagine son traumatisme pendant que son père tentait de raisonner les policiers qui lui expliquaient qu'elle n'avait pas payé l'amende de 600 euros infligée par le Centre anti-piraterie. Ça se passait en Finlande la semaine dernière et si, bien sûr, il n'y a pas eu mort d'enfants, comme à Ghaza au même moment, où sévissaient des pirates autrement plus cruels, cela nous amène à revenir sur les téléchargements illégaux. Là-bas, en pays de paix et de démocratie, l'affaire de la «piratette» mélomane a ému l'opinion. La chanteuse pop Chisu a déclaré se sentir mal pour l'enfant et lui a même indiqué un site d'accès gratuit à ses chansons. Le vice-président a dénoncé un «manque de discernement» et affirmé que «ce n'est dans l'intérêt de personne que des fillettes soient harcelées au nom du copyright». Il est des pays comme çà où les bobos moraux d'une seule enfant peuvent prendre une importance nationale. C'est au nom du copyright en effet qu'une croisade anti-pirate s'est abattue sur le monde et, notamment, le pauvre monde. Une croisade juste qui s'avance parée de la sainte armure des droits d'auteur et même de leurs voisins. Il est certes intolérable que les revenus légitimes des porteurs d'idées, de créations et d'inventions leur soient soustraits. Imaginez un instant : si cela se généralisait, personne ne «voudrait» plus penser, créer et inventer. Ou ne «pourrait» pas, car un créateur ne peut se consacrer pleinement à son art ou à sa compétence s'il ne peut en vivre et en tirer récompense. C'est humain, la cause est entendue. Mais en quoi serait-il moins humain qu'un jeune désargenté veuille avoir accès à l'informatique, à l'art et au monde ? Là est le paradoxe de cette histoire. Les industries de la musique, du cinéma, de l'informatique poussent les gouvernements du monde à lutter contre ces détournements, assimilables à des vols, mais on ne les a pas trop vues mettre la main à la poche pour financer des campagnes de sensibilisation mondiales et massives. Les gouvernements, quant à eux, appliquent plus ou moins la loi mais ne se soucient pas trop de l'immense frustration qui couve en la matière, laquelle fait le jeu des véritables pirates. J'ai parlé récemment avec des jeunes d'un cybercafé d'Alger de l'opération menée en octobre dernier par le ministère de la culture avec la participation d'artistes : la destruction au bulldozer de plus d'un million d'œuvres contrefaites. Mes interlocuteurs avaient l'air d'accord. J'ai essayé ensuite de leur expliquer le risque qu'ils puissent un jour se voir privés d'informatique, de musique, d'Internet... Ils doivent encore rire de ce Martien «périmé» sorti d'un film hindou pour leur raconter d'invraisemblables choses.